Aller au contenu

Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/568

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

deux de ces personnages équivoques qui font métier du spiritisme à Berlin. Nous leur demanderons de faire ici leurs expériences, et nous allons, en les surveillant, en contrôler les résultats.

« Mais, avant de les faire entrer (ils sont ici, à côté, dans une salle spéciale), je me permets de vous prévenir, messieurs, de les recevoir convenablement et de ne leur montrer en aucune façon vos sentiments, quels qu’ils soient d’ailleurs. Leur aspect va vous montrer, au premier coup d’œil, à quelles gens nous avons affaire. »

Sur un signe du président, une petite porte latérale s’ouvrit en effet, et un planton s’effaça pour laisser passer les deux individus.

Imaginez-vous deux gaillards à mine cauteleuse : l’un vieux, d’un vieux sale, ratatiné, aux ongles noirs ; l’autre, plus jeune, maigre, à la tête grosse et aux sutures saillantes sur un corps en lame de couteau, les yeux brillants derrière des pommettes avancées, les cheveux rares au front, avec cela les doigts de la main gauche, l’index surtout, le pouce et le médius fortement culottés de noir de cigarettes fumées interminablement en mégots. Tels se présentaient à nous, et probablement encore triés sur le volet parmi le tas, les deux pseudo-médiums.

C’était piteux, il faut l’avouer. Il faut avouer aussi qu’ils représentaient, ainsi que cela se voit en France et dans tous les pays d’Europe, l’élément forain et commercial de la partie, ceux qui tiennent boutique d’esprits que le vulgaire peut consulter moyennant finance.

— Messieurs, nous dit alors le président, après avoir fort cérémonieusement salué les deux manières de médiums, j’ai, ainsi que je viens d’avoir l’honneur de vous l’exposer, prié ces deux très honorables et distingués collègues, de venir ce soir se réunir avec nous, dans le but de faire quelques expériences… La célébrité universelle que se sont acquise ces deux messieurs, la notoriété dont ils jouissent à Berlin nous est et vous est un sûr garant de leur pouvoir et de leur respectabilité.

Les deux respectabilités ne perdaient pas un mot de ce petit speech de bienvenue, débité avec le plus grand sérieux. Un peu interloqués à leur entrée, ils se rassuraient maintenant, cela se voyait, enchantés de la bonne aubaine qui leur tombait inopinément. Quelle réclame cela allait leur faire ! avoir été convoqués à une séance de la savante Germania, la première société psycho-expérimentale d’Allemagne !

— Et maintenant, messieurs, quand vous voudrez, dit le président, en leur adressant son plus gracieux sourire.

Les deux notoriétés prirent alors place dans le grand espace vide de l’amphithéâtre, devant la chaire, et dans le grand silence de la salle tout le monde restait à présent dans la plus scrupuleuse attention.

Nos deux gaillards avaient visiblement repris tout leur aplomb, et nous