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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/611

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la Société générale des Transports maritimes, paquebot commandé à cette époque par le capitaine Guiraud d’Agde, aujourd’hui commandant l’école des mousses et novices de la chambre de commerce de Marseille ; cette école est une ancienne corvette dont j’ai oublié le nom, mouillée vis-à-vis l’Hôtel-de-Ville, dans le vieux port.

Ces dames étaient la femme et les deux filles d’un des plus hauts fonctionnaires du gouvernement du général Latorre, lequel a été, on le sait, longtemps dictateur de la bande orientale de l’Uruguay. La famille se composait, en outre, de deux fils, dont l’un est mort, mais dont l’autre vit encore et que, par une coïncidence curieuse, je rencontrai plus tard à Shang-Haï, à l’administration des douanes chinoises ; il avait un emploi dans le bureau chargé de la direction et de la rédaction de Custum’s Report, cet admirable volume ou recueil annuel de statistique commerciale publié sous la direction et l’inspiration de sir William Hart, le célèbre directeur irlandais des douanes de l’empire du Milieu.

Les deux jeunes gens étaient alors en tournée d’instruction en Europe.

J’avais eu l’occasion, comme il s’en présente mille à bord pour le médecin, d’être utile et de soigner ces dames mes passagères ; comme cela se passe bien souvent, elles m’invitèrent avec insistance à dîner et me présentèrent à leur père et mari. Je fus de la maison tout de suite, on le comprend.

Le colonel X*** était le type de ce que l’on appelle là-bas le porténio, de même que ses filles étaient de leur côté des porténias dans toute l’acception la plus rigoureuse du mot.

On sait ce que l’on entend par là.

Dans toutes ces républiquettes de quatre sous de l’Amérique du Sud, la morgue espagnole fleurit dans toute son innocente et impudente candeur. Elles sont entièrement ou du moins elles étaient entièrement peuplées, lors de leur fondation et de leur découverte, par des étrangers, Espagnols, Castillans, Italiens, pour la plupart, que sais-je encore ? venus là de leurs pays, émigrés, gueux comme des rats, et qui peu à peu s’y sont implantés, y apportant l’industrie européenne qui transformait ces déserts en pays presque civilisés.

Naturellement, ces premiers occupants, devenus possesseurs du sol, y ont tous fait de grosses fortunes, et tel dont l’aïeul est arrivé là sans chemise occupe aujourd’hui les plus hautes situations dans l’État.

Mais ce n’est pas là ce qu’il y a de curieux ; et, au fond, il n’y a rien de déshonorant, bien au contraire, lorsqu’on est chez soi sans le sou, de tenter hardiment la fortune à ses risques et périls à l’étranger, et, lorsqu’on y est arrivé, c’est un titre de gloire, lorsque, bien entendu, les moyens employés ont été honnêtes et loyaux.