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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/619

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vant lui le mot « Marie », il se met en colère et dit de gros vilains mots. Alors, papa nous fait sortir… Papa nous dit que cette Marie est une vilaine femme qui a fait à notre ami beaucoup de mal.

Nous en étions là de notre conversation, lorsque le colonel se leva et vint à moi en riant.

— Eh bien, docteur, que pensez-vous de tout cela ? dit-il ; et j’espère que mes deux petites folles vous ont bien suffisamment intrigué !… Vous savez, il ne faut pas prendre tout cela au pied absolu de la lettre ; il faut en prendre et en laisser. Mais, puisque vous venez, par le plus grand des hasards, d’assister à une véritable apparition d’esprit et que vous prenez intérêt à ces questions, soyez encore notre hôte, à votre retour de Buenos-Ayres dans quelques jours, et nous vous ferons assister à une de nos séances où vous verrez des manifestations spirites réellement curieuses… N’est-ce pas, Lopez ? fit-il en se tournant vers l’ancien sacristain ;

Celui-ci s’inclina en signe d’assentiment.

On pense que je ne me fis pas prier pour accepter l’invitation[1] et que je promis formellement de passer toute une journée à mon retour avec la famille X***, me réservant d’étudier sérieusement cette surprenante apparition dont j’avais été témoin et que je ne pouvais nier.

J’avais affaire, non à des spirites de la première catégorie, mais à une famille entière de Vocates Procédants, dont le chef était même bel et bien un Vocate Élu.

Après les salamalecs d’usage, je pris congé, réfléchissant profondément à ce que je venais de voir et d’entendre.

Une fois dans la rue, je marchai rapidement. Au bout d’un instant, il me sembla que quelqu’un me suivait. Je me retournai et ne vis personne ; je pressai le pas descendant une calle, tournant l’autre ; encore une fois, il me sembla entendre un pas, mais j’arrivais enfin aux appontements de bois sur lesquels la silhouette du douanier veillant se détachait sous la lanterne qui doucement se balançait au vent de la nuit. Je sifflai mes canotiers, embarquai dans le you-you, et un quart d’heure après j’étais à bord, où, après ma prière, je m’endormis comme un bienheureux, sans plus penser ni aux portenias ou aux hijos del paiz ni aux Vocates Procédants, ni même à Lucifer.

  1. Malheureusement, à notre retour à Montevideo, il faisait un temps abominable ; impossible de descendre. L’Ortégal dut profiter d’une embellie de quelques heures pour lever l’ancre à la hâte et prendre le large où nous suivit un coup de pampero (tempête de ces parages) qui n’était pas dans un sac. C’était mon dernier voyage dans la région. Je n’ai donc pas revu mes amis de là-bas, et n’ai pu contrôler ni suivre les expériences de spiritisme auxquelles ils se livraient ; mais ce que je sais, c’est que tous ont versé dans le luciférianisme et que le colonel, après la chute de Latorre, rentré dans la vie privée et fort riche, est un des chefs du luciférianisme à Montevideo. Ses fidèles font partie du triangle palladique le « Espirita del Monte-Cerro »