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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/698

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vait être compagne de son malheur éternel sans l’Incarnation, ait été élevée à l’union de la divinité en Jésus-Christ, et dans les autres hommes à l’adoption de Dieu et à son héritage. Sa haine et son orgueil lui suggèrent le désir d’imiter autant qu’il peut un si grand mystère, d’en traverser les desseins et de s’opposer à sa fin qui est la déification des fidèles. Il trouve ce moyen dans la possession, parce qu’elle a quelque rapport avec l’Incarnation. Dans le corps du possédé, en effet, il y a deux esprits, l’âme et le démon, comme en Jésus-Christ il y a Dieu, qui est esprit, et son âme, substance spirituelle. En Jésus-Christ, Dieu et l’homme s’unissent sans se confondre ; dans le possédé, le démon s’unit à l’homme, mais il ne se change pas en lui, et ces deux substances demeurent toujours distinctes ; en Jésus-Christ, la divinité pénétrait l’humanité et s’en servait comme d’un instrument conjoint pour opérer des œuvres surnaturelles ; dans le possédé, le démon pénètre le corps et l’âme, s’insinue dans tous ses sens, dans ses puissances, et il se sert de tous ses membres pour accomplir des actions horribles. Tantôt il profère par sa bouche des blasphèmes épouvantables ; tantôt il joint les actions aux paroles : il élève le corps, le tient suspendu, le jette contre terre, et quand il semble qu’il l’a tout brisé, on le trouve sans blessure ; il s’en joue comme il veut, pour le tourmenter ou pour tromper les spectateurs, ou par des actions violentes ou par des actes ridicules. Toutefois, comme en Jésus-Christ la volonté divine n’apportait aucune contrainte à la volonté humaine, de même le démon ne peut forcer la volonté du possédé et le porter malgré elle à offenser Dieu.

De la part du possédé, quoique cet état terrible puisse se présenter sans que l’homme en soit moralement coupable, dans la plupart des cas, il se rattache à des prémices antérieures, naturelles ou morales ; ainsi le tempérament, les passions, les affections vives, certaines dispositions physiques, l’épilepsie, le désordre du système nerveux, peuvent, suivant les circonstances, préparer les voies, ouvrir l’accès, faciliter l’invasion de l’esprit malin. Mais ce sont surtout les péchés de la personne ou des ancêtres qui en sont le plus souvent la cause. Prosper d’Aquitaine, contemporain de saint Augustin, dit que de son temps une fille fut possédée de l’esprit immonde pour avoir jeté la vue inconsidérément sur une image de Vénus. Tertullien, auteur encore plus ancien, dit qu’une dame romaine alla en bonne santé à la comédie, et en retourna possédée du diable. Lorsqu’on fit les exorcismes, le prêtre reprocha au démon d’avoir osé posséder une matrone chrétienne : le démon répondit : « Je l’ai saisie hardiment, c’était mon droit ; tout ce que je trouve sur mes terres m’appartient ; si je l’eusse trouvée à l’église, je n’eusse osé l’approcher ; je l’ai trouvée en mon assemblée, je l’ai prise comme chose qui était sur mon