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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/742

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officiers, sous-officiers et soldats, tous traitèrent le malheureux suicidé d’halluciné et de fou. Puis, une heure après, personne n’y pensa plus.

Le soir même, était mis à la salle de police un nouveau soldat, que le lendemain on trouvait aussi pendu, comme le premier.

Cette fois, par exemple, c’était trop fort ; et voilà vraiment une singulière, mais une bien bizarre coïncidence, se disait-on à la ronde. Pourtant, tout arrive ici-bas… Néanmoins, une certaine émotion régnait parmi la garnison de Vincennes ; si bien, que le premier soldat qui fut puni refusa d’entrer dans la prison, et qu’on dut employer la force pour l’y enfermer.

Le lendemain encore, on trouvait notre homme pendu de la même façon que les deux précédents ; et cependant, à onze heures du soir, pendant une ronde, le caporal du poste était entré dans la salle de police et avait vu de ses yeux le soldat placidement endormi sur la planche du lit de camp et ronflant comme un sonneur.

Pour le coup, ce fut alors toute une affaire. Il y avait évidemment un charme, disait-on ; il était impossible que de robustes et solides gaillards comme nos militaires fussent ou devinssent subitement hallucinés, à la vue ou par la contemplation d’un clou ; l’événement était incompréhensible, il fallait en finir.

On commença par enlever le clou. Puis, avec l’autorisation du colonel, le sous-lieutenant de la compagnie du premier suicidé déclara qu’il coucherait, lui, tout seul, dans la salle de police, et qu’il se chargeait de recevoir le diable et de lui dire deux mots.

À dix heures du soir, en effet, on disposait un petit lit pour l’officier, qui, armé de son sabre et un pistolet d’arçon à son côté, se coucha tout habillé, prêt à sauter debout à la première alerte. Pour plus de sûreté, on laissa la porte de la salle de police non fermée à clef, de façon à ce que l’officier pût appeler au secours ou s’enfuir en n’importe quel cas.

À minuit, personne encore ne dormait dans le quartier ; le poste de police se tenait prêt à marcher au premier appel ; et à toutes les fenêtres on apercevait, malgré l’obscurité profonde, des têtes d’hommes étagées les unes sur les autres, regardant anxieusement à travers les ténèbres.

Tout à coup, des cris violents s’entendirent dans l’intérieur de la prison, dont la meurtrière s’illumina subitement comme en une série d’éclairs ; puis, résonnèrent des coups de sabre, le vacarme d’une lutte, dominé par la détonation du pistolet.

Bien entendu, on n’avait pas attendu la fin de ce tapage extraordinaire pour accourir. En un clin d’œil, tout le quartier fut dans la cour, se précipitant afin d’ouvrir la porte, par laquelle on s’étonnait de ne pas voir fuir le sous-lieutenant.