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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/822

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toute présomption de supercherie. Est-ce que jamais un magnétiseur a pu arrêter, sans le toucher, un cheval emporté ? est-ce que jamais un hystérique a pu tenir une conversation, en langue humaine, avec des oiseaux et des poissons ? monter et planer dans l’espace ? déplacer une montagne pour s’en servir comme d’un navire ? Il faut vraiment avoir des coquilles collées sur les yeux pour ne pas voir le surnaturel.

Les matérialistes, qui n’ont aucun respect des choses saintes, nient carrément ces prodiges ; c’est plus commode. Quant aux catholiques superficiels, ils n’aiment pas qu’on leur en parle ; cela les gêne ; ils haussent les épaules, d’un air supérieur. « C’est bon pour les vieilles femmes, ces histoires ! » murmurent-ils. À leur avis, « la religion gagnerait à se débarrasser des miracles ; » j’en connais qui osent s’exprimer ainsi, et qui vont à la messe, pourtant. Alors, je me le demande, que vont-ils faire à l’église ? le saint-sacrifice n’est-il pas le renouvellement quotidien du plus grand des miracles ? n’est-il pas la permanente proclamation divine du surnaturel ?… Et si un prêtre ne croit plus au diable, il est bien près de ne plus croire à Dieu ; si le scepticisme envahit l’âme d’un prêtre, dans quel état d’esprit flottant sera-t-il au moment où il consacre l’hostie ?…

Repoussons ces pensées ; elles font frémir. Disons-nous bien, au contraire, que Dieu veille sur son Église et qu’il pardonne le doute, et même pis, dès que le coupable sait se ressaisir, dès que le sceptique redevient croyant.

À ce propos, rien n’est plus consolant que l’histoire de saint Théophile, racontée par la nonne Roswith, religieuse de Gandersheim et poète du dixième siècle.

Théophile était économe de l’église d’Adana, en Cilicie. Exact, pieux, charitable, il était chéri de tout le monde, particulièrement de son évêque, qui avait eu en lui la plus grande confiance. L’évêque étant mort, Théophile fut choisi d’une voix unanime pour lui succéder ; il protesta de son indignité, disant que ce lui était assez d’être économe de l’église. On le porta malgré lui aux pieds du métropolitain qui devait le consacrer ; mais, prosterné sur le pavé, il continuait à se dire indigne d’un tel honneur et à le refuser absolument. Le métropolitain, voyant son obstination, en nomma un autre.

Quelque temps après, le nouvel évêque ôta la charge d’économe à Théophile, qui se retira chez lui et continua de s’appliquer aux bonnes œuvres. Mais cela ne dura guère. Le même tentateur qui perdit un apôtre fit naître dans son cœur le regret d’avoir été dépouillé de sa charge et le désir de la recouvrer. Cette passion alla bientôt si loin qu’elle le fit recourir à des maléfices.