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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/913

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Ce que l’on appellerait médicalement « la période d’incubation de la maladie », et qui n’est au demeurant qu’une des formes de l’obsession, dont la durée a été plus ou moins longue, avec des alternatives de répits, vient donc de se terminer. Rien dans l’aspect extérieur de l’enfant n’annonce l’état intérieur ; son système nerveux est calme, intact ; ses fonctions physiologiques s’exécutent normalement. Il mange, boit et dort, comme d’habitude. Rien ne parait, si ce n’est une sorte de flamme extraordinaire qui par intervalle lui passe dans les yeux, dont le regard est, à ce moment seul, étrangement changé.

Par intervalles aussi, l’enfant surprend tout le monde, par un mot lâché, une phrase dite, une pensée révélée brusquement, qui a trait à un ordre de choses bien supérieur à ses études, à ses conversations ordinaires de la vie, à ce qu’il a pu apprendre par audition ou lecture. Le maître ne lui a pas fait encore décliner « rosa, la rose » ; l’enfant est, par conséquent, bien loin d’aborder le grec ; il ne se doute certes pas que Xénophon a existé et a écrit l’histoire de la retraite des Dix-Mille ; et voilà que tout à coup, à propos de rien, il y fait allusion et en récite un passage, qui tombe juste avec la conversation de grandes personnes, à laquelle il assiste ; et cela, je le répète, à brûle-pourpoint, tandis que lui, à qui nul ne prenait garde, jouait aux billes sur le tapis de la chambre, où ses parents causent avec des amis en visite chez eux.

On relève la tête ; on est surpris, étonné, stupéfié. « Mais qui t’a appris cela ? » interroge papa ou maman. L’enfant reste sans répondre ; il n’en sait rien lui-même et ne cherche pas à savoir, d’autant mieux qu’il n’y a pas lieu pour lui de faire appel à son souvenir. Il est là, interdit, incapable de se juger ; être sensitif avant tout, il n’a pas encore d’étonnements, parce qu’il n’a encore pas aussi la notion exacte des choses extraordinaires dans le domaine intellectuel. Au surplus, il est déjà retourné passionnément à ses billes.

Cinq minutes après, personne ne se rappelle plus l’incident et nul n’y repense, si ce n’est pour dire : « C’est un enfant précoce ; il aura appris cela par hasard sur le livre laissé ouvert par son grand frère », etc., etc… Appris le grec, n’est-ce pas, et lu cette langue ? lui qui ne lit encore qu’incorrectement le français !… Mais l’esprit humain est ainsi fait, qu’il se satisfait quelquefois des explications les plus étonnamment singulières et ne prête aucune attention à des faits déconcertants pourtant, alors qu’au contraire la moindre vétille l’arrête, d’autres fois, et qu’il passe des heures à abstraire des quintessences, à ferrer des cigales, à divaguer sur des aberrations.

Ce n’est pas tout. Quelque temps après ce premier incident ou tout autre du même ordre mystérieux, l’enfant, à propos de rien, se met à