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Page:Taxil, Hacks, Le Diable au XIXe siècle, Delhomme et Briguet, 1894.djvu/940

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(C) Causes de la possession

Le père de l’enfant est catholique ; sa mère, protestante. Ils vivaient ainsi sous un mariage mixte. Mariés dans la foi protestante, ils faisaient suivre à leurs enfants une école évangélique. Cependant, le père fut un jour pris de remords ; il voulut racheter ses fautes et envoya ses enfants à l’église catholique de Durwangen. Ce revirement excita la haine des protestants qui firent tous leurs efforts pour amener la ruine complète des meuniers. Ils leur demandèrent intérêt et capital de l’argent qu’ils leur avaient prêté ; ils ne vinrent plus à leur secours dans le besoin ; ils ne firent plus moudre leur blé chez eux, pour les réduire rapidement à la mendicité. Et pour compléter leur malheur, la voisine Herz ensorcela leur enfant. L’enfant, en effet, a une fois déclaré dans une extase démoniaque qu’il avait été possédé après avoir mangé des « Hutzeln[1] » — une cinquantaine environ — que cette femme lui avait envoyés le mardi-gras. Ce pauvre enfant avait fréquemment de pareilles extases. Un jour, dans une d’elles, le diable disait qu’il habitait autrefois une idole dans une île ; il prédisait de grands malheurs à cette Herz dont les malédictions l’avaient fait entrer dans le corps d’un enfant qu’il serait bientôt obligé de quitter. Une autre fois, il disait : « Il vient maintenant une lettre de l’évêque ; il sera chassé ». Notre propre lettre, il l’avait annoncée aussi quelques jours avant.

Le père de l’enfant, qui était venu nous voir plusieurs fois, mit ordre à sa situation. Il se fit marier une nouvelle fois d’après le rituel catholique, et ses enfants furent baptisés à nouveau. Toutefois le possédé, tant qu’il fut dans son triste état, ne put être baptisé : il était pris d’une telle rage et d’une si horrible fureur, que six hommes vigoureux ne pouvaient le maîtriser.

Si grand que fut en apparence le malheur des parents, la grâce divine fut encore plus grande. Le père devint de nouveau un fervent catholique ; les enfants étaient gagnés pour notre Église, et la mère elle-même, vivant dans la religion protestante, ne tarda pas à rentrer dans le giron de l’Église catholique. Qui n’admirera la sagesse de Dieu qui d’un tel mal a su tirer un si grand bien !

(D) Phénomènes consécutifs à la possession

L’enfant se montrait maintenant très gai et très joyeux. Pendant la possession, il tenait constamment la bouche et les yeux clos ; on ne pouvait lui tirer aucune parole. Depuis, il est devenu très parleur. Ses yeux d’enfant brillent si clairs et si innocents que c’est plaisir de s’y mirer. Durant la possession, il baissait sans cesse les yeux maladivement vers sa poitrine et avait des secousses non naturelles dans le corps. Après il revint à l’état normal. Pendant les cinq séances d’exorcisme, l’enfant tomba chaque fois dans une extase démoniaque « in einer daemonischen ekstase » ; après chacune d’elles, il semblait à moitié mort, entièrement raide et comme sans vie « ganz starr und wie leblos ». Après la dernière exorcisation, le diable expulsé, l’enfant fut très tranquille et on ne remarqua chez lui aucun phénomène insolite. Au temps de la possession, il ne pouvait souffrir près de lui aucun objet sacré : après la guérison, il prenait de ses propres mains la sainte Croix

  1. On désigne sous ce nom un mélange de fruits (pommes, poires et prunes) cuits et coupés en quartiers.