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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/16

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quence ne se serait-elle pas glacée sur ses lèvres lorsqu’en se levant il entendait dans l’auditoire les réflexions suivantes :

« Eh ! mais, ce monsieur qui se lève, c’est le fils de ce vieux réprouvé de sir Pitt qui, dans ce moment, est sans doute à boire dans quelque bouchon du voisinage. »

Une fois il parlait de la triste situation du roi de Tombouctou et de ses nombreuses épouses, plongées dans les plus épaisses ténèbres de l’idolâtrie ; soudain un ivrogne, élevant la voix dans la foule :

« Combien, lui cria-t-il en compte-t-on dans le harem de Crawley ? »

Sous le coup de cette apostrophe, l’auditoire resta tout ébahi, et il n’en fallut pas davantage pour faire manquer l’effet du discours de M. Pitt.

Quant aux deux héritières de Crawley-la-Reine, peu s’en manqua qu’elles ne fussent livrées sans contrôle à leurs inspirations personnelles. Sir Pitt avait juré que, sous aucun prétexte il ne laisserait rentrer de gouvernantes au château. Enfin, par bonheur pour elles et grâce à l’intervention de M. Crawley, le vieux gentilhomme se décida à les mettre en pension.

À travers les nuances diverses qui résultaient dans les actes de chacun de la différence des caractères, on pouvait néanmoins reconnaître un redoublement d’attention à l’égard de miss Crawley de la part de ses neveux et nièces ; tous tenaient à lui témoigner leur affection de la manière la plus vive ; tous tenaient à lui donner des gages non équivoques de leur tendresse.

Mistress Bute lui avait adressé des canards de Barbarie, des choux-fleurs d’une grosseur remarquable, une jolie bourse et une pelote faite par ses aimables filles, avec prière à leur chère tante de vouloir bien leur garder une petite place dans son cœur.

M. Pitt, plus magnifique encore dans ses envois, lui prodiguait les bourriches de pêches, de raisins et de gibier. La voiture de Southampton à Brighton apportait à miss Crawley tous ces petits cadeaux qui, sous mille formes diverses, prouvaient la tendresse de ses proches. Quelquefois même M. Pitt allait lui rendre visite ; car l’humeur acariâtre et revêche de son honorable père mettait souvent sa patience à bout, et le forçait d’aller chercher au dehors l’oubli de ses soucis domestiques.