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Page:Thackeray - La Foire aux Vanites 2.djvu/212

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— Je ne désirais que l’occasion de pouvoir vous être agréable soit à vous, soit à milord Steyne, » dit Rebecca avec une sincère reconnaissance ; et en même temps elle s’assit au piano et se mit à chanter.

Elle joua les mélodies religieuses de Mozart, que lady Steyne affectionnait particulièrement, et avec une telle douceur et un sentiment si vif de l’harmonie, que cette dame s’approchant du piano vint s’asseoir à côté d’elle et que de grosses larmes lui coulèrent des yeux en l’écoutant. Il est vrai qu’en compensation, à l’autre extrémité de la pièce, on ne se gênait pas pour rire tout haut et causer d’une manière bruyante. Mais lady Steyne n’y prenait pas garde, sa pensée l’emportait ailleurs ; elle la ramenait aux jours de son enfance et la faisait remonter à travers quarante années de douleurs et d’isolement, au temps où elle était encore dans son couvent, quand l’orgue de la chapelle faisait retentir les mêmes notes à son oreille. C’était l’organiste, c’était la sœur de la communauté qu’elle aimait le plus, qui lui avait appris ces airs dans des jours de félicité trop vite écoulés. Pendant une heure elle avait pu se croire au temps de sa jeunesse, pendant une heure elle avait reconquis le bonheur si pur et si doux du premier âge. Elle sortit de ce rêve en sursaut lorsque les deux battants de la porte s’étant ouverts elle entendit les éclats de rire de lord Steyne et la bruyante gaieté des hommes qui revenaient au salon.

D’un regard le maître de la maison devina ce qui s’était passé en son absence, et, pour la première fois de sa vie, éprouva un mouvement de bienveillance pour sa femme. Il alla lui parler et l’appela par son nom de baptême, ce qui fit de nouveau rougir cette pâle et triste figure.

« Ma femme vient de m’apprendre que vous avez chanté comme un ange, » dit milord Steyne à Becky.

Mais il existe deux espèces d’anges, et chacun a, dit-on, sa manière particulière de charmer les cœurs et les esprits. Le reste de la soirée fut un véritable triomphe pour Becky ; elle chanta à ravir, et les hommes firent cercle autour du piano. Ses ennemies furent laissées dans leur coin. M. Paul Jefferson s’approcha seul de lady Gaunt, et pour lui être agréable ne trouva rien de mieux à lui dire, sinon que son amie avait une voix ravissante et qu’elle possédait un talent unique.