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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/197

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prouva tout, comme c’était son devoir. Comment n’aurait-ce pas été pour le mieux, puisque c’était elle qui avait tout réglé ? Miss Crawley ne pouvait manquer de donner à la fin son consentement ou tout au moins de s’apprivoiser, suivant l’expression de Rawdon, au bout de quelque temps. Quant aux résolutions de Rebecca, elles eussent été dans le sens opposé qu’il les eût suivies aussi aveuglément.

« Vous avez de la cervelle pour deux, Becky, lui disait-il, vous nous tirerez de ce précipice ; je n’ai jamais vu personne qui vous vaille, et cependant je me suis trouvé avec des gens bien habiles, moi aussi. »

Après cette profession de foi, le dragon au cœur brûlant s’en remit à elle du soin de conduire l’exécution de son projet, conçu dans l’intérêt commun, et il exécuta ponctuellement ses ordres sans même en demander les raisons. Son rôle, dans l’affaire, se bornait tout simplement à louer pour le capitaine et mistress Crawley un logement retiré dans le voisinage de la caserne ; car Rebecca s’était décidée, et avec beaucoup de sagesse, selon nous, à se faire enlever. Rawdon était ravi de cette résolution ; depuis plusieurs semaines déjà il la suppliait de prendre ce parti. Il se mettait en campagne pour retenir les logements avec cette activité que l’amour seul peut donner : il avait fait si peu de difficultés sur les deux guinées par semaine demandées par la maîtresse d’hôtel, que celle-ci se reprocha de n’en avoir pas exigé davantage. Il fit apporter un piano et assez de fleurs pour remplir la moitié d’une serre. Tout était à l’avenant. Quant aux châles, aux gants, aux bas de soie, aux montres en or, aux bracelets et à la parfumerie, il en fit emplette avec toute la profusion d’un amour aveugle et d’un crédit illimité. Après avoir soulagé son esprit par ce débordement de générosité, ne sachant plus que faire de ses nerfs, il alla au club attendre, en buvant, l’heure qui devait décider de la félicité de sa vie.

Les événements du jour précédent, l’admirable conduite de Rebecca refusant de si brillantes propositions, le malheur mystérieux qui planait sur elle, et la résignation silencieuse avec laquelle elle supportait son affliction, ajoutèrent encore à la tendresse ordinaire de miss Crawley.

Dès qu’il s’agit de mariage, soit pour un refus, soit pour une demande, c’en est assez pour mettre en branle des légions de