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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/261

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mes hommages d’un autre côté, élevé mes vœux plus haut, en dehors de notre cercle étroit, mais je n’ai fait que vous obéir. Et maintenant que son cœur est à moi, vous me dites de l’abandonner, de la punir d’un crime dont elle est innocente, de causer sa mort peut-être, et tout cela pour les fautes d’autrui ! Voilà où seraient la lâcheté et la bassesse, voilà où serait l’infamie, dit George cédant à l’exaltation de son enthousiasme. Se jouer ainsi du cœur d’une jeune fille, d’un ange descendu du ciel au milieu de ce monde dont ses vertus exciteraient l’admiration, si sa douceur et son aménité ne réduisaient au silence les accusations de la haine ! Enfin, si je la délaissais, monsieur, croyez-vous qu’elle m’oublierait ?

— Il ne me convient point, monsieur, de prêter l’oreille à ce galimatias d’absurdités sentimentales, s’écria le père de George. Je ne donnerai point la main à un mariage qui ferait entrer des gueux dans ma famille. Du reste, à votre aise, monsieur, il ne tient qu’à vous de laisser envoler huit mille livres sterling de rentes quand vous n’avez qu’à vous baisser pour les avoir ; mais alors songez à faire votre paquet. Une fois pour toutes, voulez-vous faire ce que je vous dis, monsieur ?

— Épouser cette mulâtresse ? dit George en redressant les pointes de son faux-col ; je n’aime pas la teinture, monsieur. Vous ferez mieux d’envoyer chercher le nègre qui balaye à Fleet-Market ; pour moi, monsieur, je ne veux pas m’allier à la Vénus hottentote. »

M. Osborne s’élança furieux vers la sonnette qui d’ordinaire servait à faire venir le sommelier pour le bordeaux, et, d’une voix à moitié étouffée par la colère, il lui donna l’ordre de faire avancer un fiacre pour le capitaine Osborne.

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« C’est une affaire faite ! dit George entrant une heure après chez Slaughter avec une figure pâle et défaite.

— Quelle affaire, mon garçon ? » dit Dobbin.

George lui exposa tout au long ce qui s’était passé entre lui et son père.

« Je l’épouserai demain, dit-il avec un jurement. Ah ! Dobbin, Dobbin, chaque jour je sens mon amour grandir pour elle. »


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