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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/356

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— C’est de la jalousie, fit George, et pas autre chose ; toutes les femmes sont jalouses, plus ou moins.

— N’oubliez pas les hommes, reprit à son tour Rebecca ; vous, l’autre soir, à l’Opéra, n’étiez-vous pas jaloux du général Tufto ? Ne l’était-il pas de vous ? Je crois qu’il m’aurait avalée quand j’ai été auprès de cette petite mijaurée d’Amélia. Comme si je me souciais plus de vous deux plus que de la tête d’une épingle ; et elle accompagna ses paroles d’un hochement de tête impertinent. Voulez-vous dîner avec moi ce soir ? Je suis toute seule. Mes deux dragons dînent chez le général en chef. Au fait, vous savez les grandes nouvelles ? Les Français ont, dit-on, passé la frontière. Nous dînerons bien paisiblement. »

George accepta malgré une légère indisposition qui retenait sa femme au lit. Son mariage datait au plus de six semaines, et déjà une autre femme pouvait diriger contre Amélia les saillies de sa verve moqueuse, sans que cet excellent mari y mit la moindre opposition, sans qu’il se reprochât à lui-même cette indifférence coupable. « C’est mal, » lui disait tout bas sa conscience ; mais il faut bien se résigner à son sort lorsqu’une jolie femme vient se mettre à la traverse, et d’ailleurs, toutes les fois qu’il avait fait devant Stubble, Spooney et ses autres camarades la chronique de ses amours, se vantant que, parmi toutes les femmes, il n’en avait jamais rencontré de cruelles, ses prouesses en ce genre l’avaient élevé au plus haut degré dans l’admiration de ses jeunes collègues.

M. Osborne ne pouvait se défaire de la ferme conviction que sa destinée était de porter les plus terribles ravages dans le cœur de toutes les femmes. Ainsi le voulait le sort ; il ne pouvait donc que lui obéir sans résistance. Et comme Amélia, au lieu de fatiguer son mari par des plaintes jalouses, se résignait à être malheureuse et à verser des larmes dans le silence et l’abandon, George tenait à se persuader qu’elle n’avait pas le moindre soupçon de ce qui n’était plus un secret pour personne, de ses folles intrigues avec mistress Crawley. Il faisait avec elle des promenades toutes les fois qu’elle trouvait moyen de se débarrasser de son général, et George prétextait auprès d’Amélia des affaires de service, mensonge dont elle n’était point la dupe.

Tandis que sa femme passait ses soirées dans le délaissement et la solitude, ou en compagnie de son frère, il allait chez Craw-