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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/376

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Elle encore, qui par de doux sourires, savait lui faire oublier les colères et le mépris de son mari. Combien de timides remontrances n’avait-elle pas, à ce sujet, hasardées à l’oreille de George, et combien de fois n’avait-il pas, d’un ton tranchant, coupé court à ses boutades.

« C’est dans mon caractère d’être franc, disait-il ; j’ai un sentiment, je le montre ; c’est ainsi que doit agir tout homme de bien. Prétendez-vous donc, ma chère, que j’irai prendre des gants pour parler à un nigaud de l’espèce de votre frère ? »

En conséquence, Jos était fort satisfait de se voir débarrassé de George. En voyant le chapeau rond et les gants du capitaine placés sur un coin du buffet, il pensait avec plaisir que le propriétaire de ces objets était déjà bien loin ; un tressaillement de plaisir courait par tout son être.

« Au moins, ce matin, pensait-il, il ne m’accablera point de son insolente et dédaigneuse fatuité. »

Puis se tournant vers Isidore, son domestique :

« Allez mettre, lui dit-il, le chapeau du capitaine dans l’antichambre.

— Peut-être n’en aura-t-il plus grand besoin, dit le laquais répondant à son maître. »

Il détestait George dont l’insolence à son égard justifiait tout ce qu’on a dit des Anglais sous ce rapport.

« Allez dire à Madame que le déjeuner est servi, dit M. Sedley, avec une dignité majestueuse, et dédaignant de s’expliquer avec un domestique sur son aversion pour George. »

Il ne s’était pas cependant toujours montré aussi discret, et plus d’une fois, en présence de M. Isidore, il avait donné libre carrière à sa mauvaise humeur contre son beau-frère.

Madame, hélas ! n’était point en état de venir déjeuner, de couper à Jos des tartines comme il les aimait. Madame se sentait beaucoup trop indisposée pour cela ; depuis le départ de son mari, suivant la réponse de sa bonne, elle n’avait cessé d’être dans un état d’agitation déplorable. La plus grande marque de sympathie que son frère pût imaginer à son endroit, fut de verser pour elle une immense tasse de thé : chacun a sa manière d’exprimer sa tendresse, c’était celle de Jos. Non content de lui avoir envoyé son déjeuner, il pensa aux friandises qui, au dîner, pourraient le plus flatter son goût.

M. Isidore avait regardé d’un air sournois le domestique