Aller au contenu

Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/386

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

« Elle l’a vu au bal glisser la lettre dans le bouquet, pensa Rebecca. Voyons, chère Amélia, reprit-elle tout haut et en baissant les yeux, soyez plus calme, je viens voir si je puis… si vous vous sentez mieux.

— Et vous-même, repartit Amélia, comment vous trouvez-vous ? Oh ! fort bien sans doute, car vous n’aimez point votre mari. Autrement seriez-vous ici ! Vous avez été pour moi la source de bien cruelles souffrances, et cependant avez-vous jamais trouvé en moi autre chose qu’une amie tendre et dévouée ?

— Non, sans doute Amélia, répondit l’autre femme le front toujours incliné.

— Quand vous étiez malheureuse, n’ai-je pas été comme votre sœur ? Ne vous ai-je pas tendu les bras quand vous n’aviez ni parents ni amis, et quand tous ces souvenirs devaient vous faire aimer mon bonheur, vous engager au moins à le respecter, vous êtes venue porter le trouble dans mes affections, vous êtes venue vous mettre entre mon amour et lui ! Qui êtes-vous donc pour porter la discorde où Dieu a mis l’union, pour m’enlever le cœur de mon bien-aimé, de mon mari ? Pensez-vous l’aimer d’un amour aussi vrai, aussi pur que le mien ? Sa tendresse formait toute ma joie, vous le savez, et malgré cela vous avez voulu me la ravir. Honte à vous, Rebecca, âme méchante et dépravée ! honte à vous, amie trompeuse et épouse infidèle !

— Amélia, j’en prends Dieu à témoin, je n’ai aucun reproche à me faire à l’égard de mon mari.

— Ah ! Rebecca, interrogez votre conscience, et voyez si elle vous en dira autant pour ce qui me concerne. Si vous n’avez pas réussi, ce n’est pas faute au moins d’y avoir essayé.

— Elle ignore tout, pensa Rebecca plus rassurée.

— Je ne sais quelle voix secrète disait à mon cœur qu’il échapperait à vos piéges, à vos fourberies, et qu’enfin il reviendrait à moi. J’étais sûre de la générosité de son cœur ; j’avais foi dans son amour, et son amour a été rendu à mes vœux. »

La pauvre enfant prononça ces paroles avec une vivacité et une effusion dont Rebecca ne l’avait jamais crue capable, et qui la laissèrent muette. Amélia poursuivit d’une voix attendrie :