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Page:Thackeray - La Foire aux vanites 1.djvu/39

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LA FOIRE AUX VANITÉS

louange, aussi précieux dans sa toilette, aussi fier de sa puissance séductrice, aussi convaincu de ses avantages personnels que la plus grande coquette du monde. »

Au bas des escaliers, Joseph rougissait de plus en plus, et Rebecca, dans une tenue très-modeste, tenait ses yeux fixés à terre. Elle portait une robe blanche ; ses épaules nues avaient l’éclat de la neige ; l’image de la jeunesse, de l’innocence sans appui, l’humble simplicité d’une vierge étaient empreintes dans toute sa tenue. « Je n’ai plus maintenant qu’à garder le silence, pensa Rebecca, et témoigner beaucoup d’intérêt pour tout ce qui concerne l’Inde. »

À ce qu’il paraît, mistress Sedley avait préparé à son fils un excellent curry[1], comme il les aimait, et, dans le courant du dîner, on offrit une portion de ce plat à Rebecca.

« Qu’est-ce que cela ? dit-elle en jetant un coup d’œil interrogatif à M. Joseph.

— Parfait ! » dit-il. Sa bouche était pleine, et sa face toute rouge exprimait les jouissances de la mastication. « Ma mère, c’est aussi bon que les currys faits dans l’Inde.

— Oh ! j’en veux goûter, si c’est un plat indien, dit miss Rebecca. Il me semble que tout ce qui vient de là doit être excellent.

— Donnez du curry à miss Sharp, ma chère, » dit M. Sedley en riant.

Rebecca n’en avait goûté de sa vie.

« Eh bien ! trouvez vous toujours bon tout ce qui vient de l’Inde ? reprit M. Sedley.

— C’est excellent, dit Rebecca, que le poivre de Cayenne mettait à la torture.

— Prenez avec cela un chili, dit Joseph, qui commençait à faire attention.

— Un chili, dit Rebecca qui n’en pouvait plus. Oh ! oui. »

Et elle pensait qu’un chili était quelque chose de rafraîchissant. On lui en apporta un.

« Quelle couleur fraîche et verte ! » dit-elle.

Elle en mit un dans sa bouche ; c’était plus cuisant encore que le curry ; elle ne put l’endurer plus longtemps. Elle laissa tomber sa fourchette.

  1. C’est ce que nos restaurateurs appellent curriks ou achards de l’Inde. (Note du traducteur.)