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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/122

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rois de Prusse ouvraient, comme leur basse-cour à la volaille fugitive des voisins, leurs états aussi bien aux protestants persécutés par Louis XIV qu’aux Jésuites dissous par Ganganeîli, ils colonisaient et construisaient la Prusse en prenant le contre-pied des Français et des Romains de leur temps. Et lorsqu’Auguste Comte a voulu donner à l’un des treize mois positivistes [Décembre – Le treizième symbolise la science moderne] un nom qui symbolisât l’État moderne, ce n’est point le nom de Louis XIV qu’il a choisi, mais celui de Frédéric II. N’est-on pas toujours, en bonne politique, le « plagiaire » de quelqu’un ?

Il y a dans les Amitiés Françaises un chapitre délicieux sur les démêlés d’un petit garçon avec son institutrice allemande au sujet de l’âme des bêtes. Et M. Barrès conclut : « Magnifique document sur l’origine des guerres de religion ! Une fois de plus la répugnance à accepter une étrangère se doublait de prétextes théologiques. » M. Maurras a inversement doublé sa théologie d’une répugnance nationaliste à accepter l’étranger tel que son flair le subodorait en chaque sectateur de Calvin. La lutte qu’il engage est une lutte d’idées, et l’enjeu de cette lutte est le pouvoir spirituel français. Cette question, posée par Saint-Simon et Comte, de pouvoir spirituel, M. Maurras l’a profondément reprise et suivie, et c’est du point de vue de ce pouvoir seulement que nous apercevrons les vraies raisons qu’il a eues de « liguer » contre le protestantisme.

III
LE POUVOIR SPIRITUEL

L’idée d’un pouvoir spirituel, ou plutôt le problème du pouvoir spirituel, semble avoir occupé depuis longtemps M. Maurras. Expliquant une phrase qui, dit-il, ne correspond plus à sa pensée, au sujet de « la fâcheuse scission intervenue à l’ère chrétienne entre le pouvoir civil et le pouvoir religieux », il l’explique ainsi : « Ce que j’ai le plus admiré de l’unité antique, ce n’était pas son étatisme, c’était sa théocratie, où c’était l’ordre religieux qui absorbait l’ordre civil. » (Étrange.