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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/13

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trente années où se concentrèrent, de foyers divers, sur les grandes idées françaises, sur les thèmes originels ou les Mères d’une nation, tant de puissantes et vivantes clartés.

Les trois quarts de l’ouvrage ont été rédigés en campagne, de 1915 à 1918, dans les loisirs que m’ont laissés la vie de tranchées, les occupations inattendues et variées du territorial au front, et, la dernière année, un coin de table sédentaire. Ecrits en guerre, il était naturel qu’ils respirassent la paix. Des puissances pélasgiques, rudes, bienveillantes en somme, m’ont paru sculpter, aménager un rocher de l’Acropole où les deux divinités intérieures, la Minerve et le Neptune qui se disputent au sein d’un peuple, fussent acceptées dans leur lutte, héroïsées dans leur attitude guerrière, sollicitées l’une et l’autre pour des bienfaits parallèles, — une aire lumineuse où l’esprit ne se sentît pas permis de haïr ceux-ci, d’exclure ceux-là, de découper dans une continuité nationale ces morceaux arbitraires et durs qui servent de projectiles dans la bataille des idées. Des trois figures qui sont étudiées dans les trois premiers volumes, la dernière seule vit dans l’atmosphère pure de la pensée ; les deux autres habitent dans cet air un peu inférieur sujet aux éclats, aux disputes, aux tempêtes, que les anciens avaient, au-dessous de Jupiter, personnifié en Junon, divinité de tempérament parfois injurieux, mais, ne l’oublions pas, gardienne du foyer et des saintes lois de la cité. Quels que soient ces conflits célestes entre l’ether et la région des orages, observons que nous avons là peut-être un ménage véritable et un groupe harmonieux disposé dans le cercle d’une seule idée, celle de la continuité : continuité française serrée par M. Maurras autour de la personne vivante du roi ; continuité d’un développement humain, décrite authentiquement par M. Barrès en une grande courbe, d’une profondeur à un sommet, d’une racine à des branches, d’un individu volontaire à une discipline nationale ; continuité du monde intérieur et de l’univers, épousés de leur cœur vivant par la pensée bergsonienne, identifiés avec un nouvel absolu, celui de la durée. La continuité que nous trouverons dans ces trente années de vie, d’intelligence et de réflexion françaises, elle apparaîtra par un certain côté comme le reflet même et la conséquence de l’idée de continuité dont ces trois pensées et d’autres encore s’efforcent de reconnaître la source, de peser la vérité et les services.