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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/133

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monarchique. À ce spectacle ordonné du dehors s’oppose toujours une culture de dedans, plus en puissance qu’en acte, mal composée encore, mais qui prépare, accumule et vit. Entre les deux sortes de cerveaux auxquels correspondent ces deux ordres de valeurs, cloisons, méconnaissance, incompréhension nécessaires.

Quoiqu’il en soit, M. Maurras n’envisage pas le tout catholique avec une simple imagination d’artiste. Il a les yeux fixés sur lui comme le Démiurge de Timée a les yeux fixés sur les Idées, pour travailler d’après lui, pour modeler sur le précédent de cette réussite unique le pouvoir spirituel que sa fonction d’écrivain lui donne, à lui aussi, le devoir de rechercher et d’exercer en cette période d’interrègne et de libre examen dont il est bien forcé de respirer l’atmosphère et de subir les nécessités. Ainsi un socialiste est obligé de s’accommoder aux lois de l’ordre capitaliste où le malheur des temps le force à vivre : dites-moi qu’à l’inépuisable dialecticien, au riche tempérament personnel et aux survivances éparses du « petit anarchiste » que vous observez en M. Maurras, cette obligation n’est guère plus pénible, sans doute, qu’il ne l’est à un amateur bien renté de sensations et d’idées comme M. Marcel Sembat de mener son existence parlementaire dans un ordre social qu’il réprouve, — à la bonne heure !

À l’exercice du plus humble fragment de pouvoir spirituel, celui d’un journaliste, est bienfaisante et nécessaire l’idée du pouvoir spirituel total, organique et organisé tel qu’il règne de la colline vaticane.

« Ni la douce clarté du parler de France, ni l’éclat d’or des bonnes raisons, ne font écouter, je veux dire écouter efficacement. Écrivains, même lus, à chaque appel nous mesurons combien est médiocre l’action d’une pensée, même estimée, sur les ressorts réels de ces pouvoirs publics qui n’existent pourtant que par leurs vieilles étiquettes de « gouvernement de l’esprit » ou de l’ « opinion » ou de la discussion » ou de la « raison ». Aucun système n’est aussi imperméable à ce qui n’est que de l’esprit[1]. »

Cela parce que l’esprit au nom duquel parle M. Maurras, n’est pas organisé en institution, parce qu’il ne s’intègre pas à la masse d’un digne pouvoir spirituel. Le pouvoir spirituel organisé de l’Église n’est, chez nous, pas écouté et n’est pas libre, — et le libre pouvoir spirituel de la discussion et de la raison, émietté dans l’individualisme et la contra-

  1. Le Pape, p. 259.