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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/143

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dommage. Mais on peut lire et relire son article, on n’y trouve rien qui soit relatif au fait alsacien-lorrain considéré comme nécessaire à la force et à la durée du reste de notre patrie[1]. » Ces lignes font bien comprendre le positif ou relatif que M. Maurras oppose en politique à tout absolu. Mais il n’y a là qu’une face de la question et chez Comte et chez M. Maurras.

Ce domaine des faits humains, ce troisième sens du mot relatif s’oppose au domaine de la spéculation pure, à l’absolu. Mais ce n’est pas par cette opposition qu’il se définit, il a un contenu propre. Cette humanité par rapport à laquelle, chez Comte, tout doit être pensé, elle n’est pas comme pour l’idéalisme anglais, celui de Berkeley ou de Stuart Mill, simplement l’esprit, la perception, un fantôme verbal de la psychologie, ou, plus simplement, l’individu. Elle existe comme un être, comme le seul être réel et complet, comme le Grand Être. Le troisième sens de positif rejoint par là le deuxième. L’humanité est une idée positive, elle est la grande idée positive précisément par ce qu’elle contient l’être, l’organisation portés à leur haute et pleine puissance. Tout est relatif à l’humain, mais tout reprend ainsi sa vraie et digne réalité, comme la réalité du monde se trouvait fondée pour Malebranche sur ce fait qu’il était relatif à Dieu. Le positivisme au sens clair et complet du mot implique donc dans l’ordre scientifique la suprématie de la sociologie, dans l’ordre religieux et moral la constitution du Grand-Être. On trouverait chez M. Maurras une ontologie analogue appliquée à une idée vivante et totale de la France. Si tout doit se considérer relativement à l’intérêt français, notre pensée s’ordonne, se totalise, construit sa synthèse subjective dans la réalité du royaume de France. « Le futur royaume de France est le rendez-vous naturel et comme le rond-point nécessaire de toutes les idées justes[2] ». Les idées justes seraient suspendues en l’air, comme les Nuées elles-mêmes, si elles ne s’accordaient sur ce terrain et ne convergeaient vers ce rond-point d’une réalité.

  1. Kiel et Tanger, p. 259.
  2. Kiel et Tanger, p. 373.