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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/145

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Écrivant pour défendre le système d’enseignement de la théologie catholique, il admire qu’en cette théologie « les doutes se résolvent en affirmations, les analyses, si loin qu’on les pousse, en reconstitutions brillantes et complètes. Voilà pour de jeunes esprits la préparation désirable… On les aura introduits à l’art de penser… Ce n’est pas au cœur, mais au cerveau que se marque la race humaine ; même pour notre vie pratique le meilleur traité de morale n’aura point l’efficace du noble exercice logique qui instruit l’âme à bien penser[1] ». On pourrait ici discuter beaucoup. La méthode dont M. Maurras fait l’éloge a été peu à peu refoulée sans retour, resserrée comme l’Empire byzantin du XVe siècle dans l’enceinte de Constantinople, en les murailles des séminaires. M. Maurras, comme Dante, « élève et bon élève des lecteurs et disputeurs en théologie » a mobilisé, heureusement pour sa cause, d’autres ressources dialectiques. Les services que la théologie, par son contenu d’affirmations et de certitudes, rendait à la discipline intellectuelle, sont remplacés depuis Descartes (et M. Maurras peut se reporter à Auguste Comte) par l’utilisation pédagogique des mathématiques.

Le paragraphe xiii du Syllabus condamne comme erronée cette proposition : « La méthode et les principes d’après lesquels les anciens Docteurs scolastiques ont cultivé la théologie ne conviennent plus aux nécessités de notre temps et aux progrès des sciences. » M. Maurras, dans son Apologie du Syllabus, cite cet article avec enthousiasme, et l’appuie au-delà même de ce qu’il affirme, puisque le Souverain Pontife ne prétend faire ici que la police des études théologiques, où évidemment il est le maître : le lecteur qui s’imaginerait que le pape prétend imposer la méthode scolastique à la biologie et à la psychologie abuserait du droit à ne savoir pas lire. M. Maurras défend cette méthode comme l’exercice le plus vigoureux et le plus plein de la raison humaine : « La méthode des anciens docteurs avait pour principal défaut d’être loyale et claire ; le libéralisme, qui n’est qu’une pêche en eau trouble, commence par supplier les gens de ne point définir les termes, de ne point les qualifier, ni les enchaîner, ni les mettre en réaction les uns sur les autres : moyennant quoi, sans doute, si l’on peut espérer de vivre en fait avec son voisin, on ne peut rêver d’entrer en conversation étroite et suivie avec lui : où serait la langue commune ? Le préjugé antiscolastique aurait pour dernier effet la disparition du langage et la

  1. Trois Idées Politiques, p. 69.