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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/158

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vitude de l’Église, — quoique ces expressions aient autant de signification que les précédentes. Le mot de servitude peut-être pourvu d’une bonne conscience individuelle (celle sur laquelle est bâti Servitude et grandeur militaires par exemple) mais il implique une mauvaise conscience politique, et cela sans doute parce que les deux courants, l’individuel et le politique, vont en raison inverse l’un de l’autre.

En général pourtant l’appel au sentiment de la liberté ou même à l’idée des libertés, n’est présentée par M. Maurras que comme accessoire ; comme l’individu est pour Comte une abstraction sociale, la réalité, la liberté individuelles sont pour M. Maurras tirées par abstraction de ces grandes et solides réalités qui sont l’ordre et l’unité.

La succession de la liberté état inorganique et de l’ordre état organique, voici comment il la transporte de la vie individuelle dans la vie sociale. En politique « toute politique d’empire a dépassé la liberté. L’Allemagne eut besoin de la liberté pour être, pour compter (1750-1850). Pour acquérir et conquérir l’unité fut indispensable. » Soit. Unité, organisation, ordre, sont les valeurs qui poussent sur le terreau de la liberté. Mais à leur tour elles n’ont de valeur humaine que si elles sont productrices de liberté, si elles protègent le citoyen dans sa liberté de se mouvoir, d’acquérir, de jouir. Il y a là quelque chose d’analogue à ce chemin de fer circulaire auquel M. Helfferich comparait pendant la guerre la politique financière de l’Empire allemand.

De même « ni l’Allemagne ni l’Angleterre, ni les États-Unis, ne s’arrêtèrent à la liberté helvétique. Mais aucune de ces trois puissances n’est parvenue à la discipline unitaire qui distingue la civilisation des Français. La France et la Suisse figurent donc les deux extrêmes de la série entre lesquels on peut intercaler une infinité de moyennes. » Précisément, liberté et discipline sont en saine politique complémentaires. L’une ne perd pas ce que l’autre gagne, bien que l’une et l’autre soient en apparence antagonistes. Mais le sentiment de l’une est en fonction du sentiment de l’autre. Une discipline vigoureuse implique la réaction d’une liberté vigoureuse et réciproquement. Nietzsche dit fort bien que les Français ont été le plus chrétien de tous les peuples, et que, précisément pour cette raison, la libre-pensée française, celle du XVIIIe siècle, fut seule sérieuse et puissante parce que seule elle eut à lutter contre de vrais grands hommes. Pareillement si le caractère des Français, selon le mot de la Bruyère, exige du sérieux dans le souverain, ce n’est pas en tant qu’il est lui-même sérieux, c’est en tant qu’il ne l’est pas assez. La France a toujours été un pays où l’idée de l’ordre et