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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/189

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intellectuel et moral, en tant que construction d’hommes, en tant que le plus ancien, le plus vaste et le plus utile monument spirituel, soit liée à la croyance en son Dieu ? N’a-t-elle, comme une maison de Damas, qu’une beauté intérieure, ou bien, comme un palais romain, rayonne-t-elle pour le dehors et pour ceux-là qui ne sont pas admis à l’habiter ? » L’histoire de l’Église dicte assez la réponse et vient légitimer en principe la position de M. Maurras. L’Église invoque des droits non seulement vis-à-vis de l’État catholique, mais vis-à-vis de tout État. Elle reconnaît comme prince de fait le prince athée ou hérétique, elle demande que le pouvoir spirituel catholique soit reconnu comme pouvoir spirituel de fait. Or l’existence, pour M. Maurras, de l’Église, est celle qu’elle revêt pour un cerveau d’État normal. Le catholicisme entre dans l’ordre social pour être utilisé du point de vue de cet ordre. Telle était l’idée de Comte, — et aussi de Henri IV : il ne saurait déplaire à M. Maurras que la royauté ait, à un moment critique, considéré la messe comme une valeur sur Paris. M. Maurras utilise le catholicisme en tant qu’il le tient « pour un élément de paix publique, d’ordre intellectuel et moral, de tradition nationale ».

L’Église constitue un élément de paix publique. Paix dans l’État entre l’État et les individus. Paix dans l’humanité entre les États.

Paix dans l’État. « Un gouvernement, remarque Faguet, ne peut pas aimer ni quelqu’un ni quelque chose doués d’une grande force morale. Il ne peut pas aimer la moralité. D’où il suit que ceci précisément qui fait la force d’une nation fait la terreur du gouvernement et lui est en défiance, ce qui est une assez plaisante antinomie »[1]. Sauf que cela n’a rien de plaisant, ces lignes justifieraient fort bien le rôle d’instrument de paix publique que reconnaît à l’Église M. Maurras. Ces forces individuelles, étrangères ou rebelles à l’État temporel, l’Église les ordonne, les pétrit, les unifie sous forme d’État spirituel sans qu’elles y perdent rien de leur vigueur. Par son travail d’adaptation et de mise au point, elle les fait passer au service de l’État temporel. Elle joue, entre la monarchie et la société, entre l’individu et l’État, un rôle de médiateur plastique. La théologie protestante, la philosophie contemporaine considèrent le sentiment religieux comme le fond sacré de l’âme humaine, sa part la meilleure et son diamant mystique. Au contraire M. Maurras, comme l’État de M. Faguet, y voit une force sauvage, redoutable à la fois pour l’individu qu’elle affole et débride, pour la

  1. Le Libéralisme, p. 115.