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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/191

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Ce genre de vérité, cette « thèse » ne sera pas complètement infirmée par toutes les restrictions, les tempéraments qu’apporterait l’observation de la réalité. Dans le fait, l’Église est loin d’avoir été toujours un instrument de paix intérieure. À partir du XVIIe siècle il y eut plus de paix religieuse dans les pays protestants que dans les pays catholiques. Au XVIIIe et au XIXe siècle le chapitre de nos querelles à ce sujet reste beaucoup plus touffu qu’il ne l’est en Allemagne et en Angleterre. Dans les pays anglo-saxons, aux États-Unis surtout, les fantaisies de la conscience individuelle sont poussées à un degré paradoxal, les sectes les plus étranges foisonnent, les prophètes aussi, des Desjardins de toutes les couleurs et de tous les costumes fondent des « machines » à soixante étages à côté desquelles l’impasse Ronsin n’est qu’une bien pauvre petite chose, et tout cela ne crée nul embarras au gouvernement. L’État s’en désintéresse. Si l’on offrait au Président Wilson de lui installer aux États-Unis un pouvoir spirituel complet, une Église unique dotée de tous les avantages, pour elle et pour l’État, qu’énumère complaisamment M. Maurras, il y aurait chance pour qu’il vous reçut à peu près comme le personnage de Mark Twain reçoit le commis-voyageur en paratonnerres. Je ne veux pas dire qu’il faille juger l’Europe d’après l’Amérique, la France d’après l’Allemagne, la France d’autrefois d’après la France d’aujourd’hui. Cette page de M. Maurras eût fait un beau portique oratoire pour une Assemblée du clergé au XVIIe siècle. Elle offre tout le genre de vérité qui peut appartenir à l’éloquence démonstrative, et c’est à peu près ainsi qu’un cerveau sage et bien équilibré du XVIIe siècle devait concevoir les rapports de l’Église et de l’État.

Paix dans l’humanité entre les États. La grande guerre a posé naturellement la question de la grande paix. Pour M. Maurras le mot, les moyens, l’essence de la paix, le pacifisme vrai appartiennent à l’Église. Il la définit heureusement « la seule Internationale qui tienne », la seule qui représente pour les nationalismes un tribunal acceptable, parce qu’il est spirituel, parce qu’il constitue « le seul ilôt d’humanité pure que puisse montrer la planète »[1]. « Nous sommes de ces nationalistes qui ne méprisent ni n’avons jamais méprisé dans les choses humaines l’humanité, l’universel, ni, par conséquent, la seule institution organique et vivante dont l’esprit soit universel, le catholicisme[2]. »

  1. Le Pape. p. 53.
  2. Id., p. 12.