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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/210

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style, moins de système et plus de goût, la place de Brunetière. Il eût balancé par elle l’impressionnisme nuancé de Lemaître, l’impressionnisme tintamarresque de Faguet. Si la méditation d’un texte de Demosthène et la vieille maison de Théophraste Renaudot ne l’avaient amené à élire parmi ses buts possibles une œuvre de restauration politique, la critique certainement l’aurait mené aux palmes vertes, à la coupole et à un noble belvédère d’idées. Mais il réfléchit sans doute que, tout étant commandé par le politique, ce serait là une œuvre partielle, inefficace, et qu’avant de s’occuper de ce qui fait la beauté d’un corps, il est nécessaire, dans l’intérêt même de cette beauté, de rechercher, de découvrir et d’appliquer ce qui en fera la santé. Le Politique d’abord rendait service à la critique elle-même.

Sa conception de la critique était d’ailleurs elle-même politique et monarchique. Un des malheurs du romantisme, une raison de ses défauts, consista en ce fait qu’il n’eut pas autour de lui une critique de jugement, cette critique que M. Maurras, venu trop tard peut-être, pouvait infliger pour son bien au romantisme littéraire, et qu’il s’est décidé à infliger au romantisme politique. Il écrit de la littérature romantique : « On n’était plus tenu par le scrupule de choquer une clientèle de gens de goût, et l’on fut stimulé par le désir de ne pas déplaire à un petit monde d’originaux extravagants. Plus soucieuse d’intelligence, (c’était le mot dont on usait) que de jugement, la critique servait et favorisait ce penchant ; de sorte que, au lieu de se corriger en se rapprochant des meilleurs modèles de sa race et de sa tradition, un Gautier devenait de plus en plus Gautier et abondait fatalement dans son péché, qui était la manie de la description sans mesure ; un Balzac, un Hugo ne s’efforçaient que de se ressembler à eux-mêmes, c’est-à-dire de se distinguer par les caractères d’une excentricité qui leur fût personnelle[1]. »

Corriger les écrivains en les rapprochant des meilleurs modèles de leur race et de leur tradition, telle est la tâche que M. Maurras se serait proposée en critique, et faute de laquelle, avant lui, le romantisme a envahi librement toute la littérature. Observons cependant que le romantisme, de 1830 à 1850, accepté, soutenu par le public, a été combattu avec acharnement par la critique qui alléguait déjà contre lui une bonne part des arguments et du décri mis à la mode par ses récents adversaires. Et la critique n’a guère réussi. Est-il dans sa nature et dans ses effets ordinaires d’avoir une action sur les écrivains ? C’est

  1. L’Avenir de l’Intelligence, p. 46.