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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/220

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retour à l’état normal. La vie, la société sont en état de guerre et de luttes perpétuelles, la vie est une réaction, et, selon la profonde définition de Bichat, l’ensemble des forces qui luttent contre la mort (exactement la direction sur laquelle s’embranche la cosmogonie bergsonienne de l’Évolution Créatrice…). Cette définition est, selon M. Maurras, « une vue de profonde philosophie, qui rend hommage à la qualité exceptionnelle, merveilleuse, réactionnaire de la vie, au milieu des assauts acharnés qui lui sont livrés de toutes les parts. Ainsi, la notion de la paix, inspirée de son vrai amour et de sa juste estime, doit être conçue par rapport à la multitude infinie des éléments et des puissances qui conspirent tantôt à l’empêcher de naître, tantôt à la détruire à peine est-elle née ». Et il disait puissamment cette tension vigilante, cette carapace fragile et tenace de courage et de génie humains suspendues dans l’atmosphère de la nuit sous les étoiles pour entretenir sur l’humanité menacée une enveloppe légère encore et précaire de sécurité.

Idée austère et tonique, pessimisme sain comme l’amertume du sel, domination de l’ordre mâle, cet aspect à la fois viril, courageux et triste du Thésée au Parthénon et de l’Adam à la Sixtine, — la racine élémentaire et la base originelle de la virilité et de l’énergie. À des « générations toutes faites d’argile » celui qui s’agenouillait devant une colonne des Propylées doit proposer l’exemple du marbre, du bronze, de la matière dure.

L’argile elle-même y trouve son compte, et par les bronziers péloponnésiens l’art est conduit à Tanagra. « Pour bien aimer il ne faut pas aimer l’amour, il ne faut pas le rechercher, il est même important de sentir pour lui quelque haine. S’il veut garder toute la douceur de son charme et toute la force de ses vertus, l’amour doit s’imposer comme un ennemi qu’on redoute, non comme un flatteur qu’on appelle. Sans doute, quand l’objet est fort, quand il est digne, quand la passion est puissante, est-il bon que ce soit le trouble, en fin de compte, qui l’emporte ; plus l’obstacle aura été élevé, énergique la résistance, plus ce trouble victorieux aura gagné d’éclat ou de durée et pourra donner de délices. Telle est la grâce de la sagesse, tel est le prix de la raison, que leur frein serré constitue la condition dernière de tout plaisir un peu intense et pénétrant. Elles seules composent une volonté ferme, un corps pudique et un cœur vrai[1]. »

  1. Les Amants de Venise, p. 267.