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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/226

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s’organise pas ; car « l’idée d’organisation, à un degré quelconque, exclut, à un degré quelconque, l’idée d’égalité. Organiser, c’est diflérencier, et c’est, en conséquence, établir des degrés et des hiérarchies. Aucun ordre ne saurait être égalitaire, si ce n’est dans les types les plus humbles et les plus récents de la vie politique, en des sociétés très pauvres et dénuées de toute complexité[1] »

Logiquement, cela se tient en perfection et demeure irréfutable. Le raisonnement de M. Maurras porte, au spirituel, contre l’idée démocratique incorporée au spirituel de l’État républicain, contre la notion de démocratie intégrale. Il suit les théoriciens démocratiques sur leur terrain et leur démontre leur absurdité. C’est son droit et c’est leur faute. Mais il ressort des paroles de M. Maurras et de la saine raison qu’il n’y a pas, qu’il n’y aura jamais, de démocratie intégrale sinon dans un monde anarchique dont la Russie actuelle elle-même ne donne qu’un faible crayon.

Seulement la République ne constitue pas une démocratie intégrale. Et M. Maurras est le premier à en convenir, ou plutôt à l’établir triomphalement : l’organisme politique appelé République française ne vit que par un reste ou une imitation du vieil ordre monarchique, et par l’existence d’une aristocratie politique qui le gouverne, celle dite des quatre États. Lorsqu’il se dit démocratie il ment ; quand la loi parle d’égalité « la loi ment, et, les faits quotidiens mettant ce mensonge en lumière, ôtant aux citoyens le respect qu’ils devraient au régime politique de leur pays, ceux-ci en reçoivent un conseil permanent d’anarchie et d’insurrection »[2]. Il y a donc contradiction entre le spirituel et le temporel de l’État. Un régime qui séparerait les deux pouvoirs leur permettrait d’avoir raison chacun sur son terrain, un régime qui les confond ne peut les faire cadrer ensemble que par des sophismes ou des mensonges.

Si la République n’est pas une vraie démocratie, si ce poulet est baptisé indûment carpe, il se pourrait donc qu’elle fût un bon gouvernement… — Y pensez-vous ? s’écrie M. Maurras. Considérez sur quels fondements peut être bâti un État qui retient à sa base un pareil mensonge. Et puis, si la démocratie n’est point dans ce qui fait l’être de l’État, c’est-à-dire dans le minimum de force qui lui permet d’exister, elle est dans toutes ses causes de faiblesse et de ruine, elle est l’ensemble

  1. Enquête, p. 117.
  2. Id., p. 117.