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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/245

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s’étonna que l’orateur n’eût rien dit de la comparaison qui s’imposait entre la Congrégation et la Maçonnerie, dont le rôle lui semblait en somme fort analogue. M. Aulard parlant à des étudiants dépouillait ainsi complètement l’ordre d’idées et le vêtement politique dans lequel il s’enfourne pour écrire à la Dépêche et au Pays. La Maçonnerie, en effet, comme autrefois la Congrégation, est une société de nature originellement spirituelle qui, prêtant son appui à l’État, exige de lui des faveurs spirituelles pour la propagation de ses idées et des faveurs temporelles pour la fortune de ses membres. Elle n’a aucun trait d’une aristocratie héréditaire où l’on serait introduit par la naissance. Est maçon qui veut, de même qu’est de l’Action Française qui veut.

Protestants, juifs et maçons ont au moins ce caractère d’une aristocratie, qu’ils sont, par le fait de certaines idées communes, réunis entre eux. Mais ceux que M. Maurras appelle les métèques ? Allemands, Scandinaves, Italiens, Levantins, quelle est leur solidarité dans l’espace ? Et, dans le temps, s’ils subsistent et acquièrent du poids seulement pendant deux ou trois générations, ils ne se distinguent plus du Français.

Alors, les quatre États confédérés signifient, pour M. Maurras, d’abord les trois organisations spirituelles qui ont bénéficié de la neutralité ou des faveurs de la loi pendant que l’Église et l’État se combattaient, puis la présence dans l’esprit et le corps français de cet étranger qu’il dénonçait comme l’auteur responsable du romantisme. « Organisation maçonnique, colonie étrangère, société protestante, nation juive, tels sont les quatre éléments qui se sont développés de plus en plus dans la France moderne depuis 1789 »[1]. Et M. Maurras explique le peu de résistance qu’ils ont trouvée par l’état de poussière et d’individualisme où la Révolution, puis l’Empire ont, avec leurs institutions et leurs lois, réduit la société française.

On ne saurait nier que ces quatre organisations (si l’étiquette collective de colonie étrangère signifie quelque chose, car il n’a y pas plus une colonie étrangère qu’il n’y a une langue étrangère) n’aient en effet en France une place plus grande que celle qu’elles tenaient avant la Révolution. Mais d’abord c’est là un fait général dans toute l’Europe : les minorités religieuses, les étrangers, les organisations internationales ont cessé, dans les États modernes, d’être suspectés sans cesse ou

  1. Quand les Français ne s’aimaient pas, p. 217.