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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/265

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moment, et malgré de grandes différences, évoquer le chanoine de Digne, de qui Descartes disait : O caro ! et qui tient à côté de lui, par son rappel aux sens, à la matière, le rôle combatif d’Antisthène auprès de Platon. Impression rapide et qui n’a d’autre raison que de réunir un moment, dans une même lumière, deux intelligences du Midi : l’ordre politique et pratique où demeure M. Maurras comporte infiniment mieux le réalisme (auquel se rallie Descartes dans le Discours de la Méthode) que l’ordre philosophique auquel l’appliquait un peu faiblement Gassendi. L’auteur de l’Enquête prend par ailleurs une place dans un cercle de penseurs, non méridionaux, mais français de partout, dont lui-même se réclame et à l’expérience desquels il rattache le fil de sa pensée. C’est par des pères spirituels qu’il est conduit et qu’il conduit à reconnaître dans les « quarante rois qui ont fait la France » les Pères de la Patrie.

Taine, Comte, Fustel, Renan, Balzac, Bonald et Le Play — « énumération homérique » qu’il déclare emprunter à M. Paul Bourget — sont appelés par lui « les Docteurs et les Pères du réalisme naturel, qui rejoignent les Docteurs et les Pères d’une doctrine théologique dont il nous est impossible de contester le réalisme surnaturel[1]. » Dans la chaîne politique ce réalisme naturel consiste à se soumettre aux réalités. Il s’oppose à un idéalisme social comme celui de Rousseau et de la Déclaration des Droits. Pareillement, le réalisme surnaturel implique des réalités surnaturelles auxquelles la vie mystique se soumet comme la vie politique se soumettait aux premières : réalités surnaturelles de Dieu, de Jésus-Christ, de la grâce, du péché, de l’Église. Il s’oppose à un idéalisme surnaturel, qui dissout toute réalité en symboles d’une vie intérieure autonome, comme celui de la théologie protestante de gauche. Un idéaliste social, M. Bougie, définit la démocratie comme une conformité croissante de la société aux vœux de l’esprit. Le réalisme social de M. Maurras et des sept Pères de ce réalisme consisterait au contraire à conformer de plus en plus l’esprit à l’observation, aux conditions d’existence, aux exigences d’ordre de la réalité sociale, à prendre, selon la formule comtiste, la soumission pour base du perfectionnement. Il est dès lors parfaitement logique que ce réalisme comporte, au lieu du trou par en haut, dans sa partie supérieure une clef de voûte faite de réalité suprême et condensée, et du même ordre que l’ens realissimum de saint Anselme ou le Grand Être de Comte,

  1. La Politique Religieuse, p. 134.