Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/305

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le moyen de compromettre toute possibilité de revanche était d’en étaler le dessein.

Ce qui détourne alors la politique française de la ligne bleue des Vosges vers la muraille d’or de l’Afrique, ce ne sont pas seulement les suggestions de Bismarck (analogues à celles de Leibnitz en 1672) ce sont les exemples mêmes et la tradition de la monarchie.

Au XVIIIe siècle, la monarchie se trouva placée, à peu près comme la République du XIXe, à un carrefour délicat de nos deux destinées, continentale et coloniale. La question continentale qui se posait pour la France était celle des Pays-Bas. Le renversement des alliances, de 1756, œuvre personnelle de Louis XV qui dut le négocier d’abord comme un « secret » et auquel les bureaux ne se rallièrent qu’assez longtemps après, visait à constituer les Pays-Bas autrichiens en une autre Lorraine. D’après le traité de Versailles, dès que la Silésie aurait été, avec l’aide de la France, reprise sur Frédéric II, la France devait recevoir d’abord, avec Ostende, Tournai et d’autres places, une frontière rectifiée, puis le reste des Pays-Bas autrichiens devait-être constitué en principauté indépendante pour le gendre de Louis XV, l’infant de Panne. La diplomatie française aurait dès lors eu tout son temps pour que la nouvelle Lorraine suivît le destin naturel de l’ancienne, le domaine du gendre de Louis XV la fortune que l’on venait de ménager au beau-père de Louis XV, et pour que l’arbre bien planté donnât son fruit au moment juste. Ce savant instrument diplomatique échoua devant le génie de Frédéric : la tragique fatalité voulut non seulement que la grande partie continentale et la grande partie coloniale se jouassent en même temps, mais aussi qu’un Louis XV, type du roi-héritier, se heurtât au génie d’un Frédéric, type du roi-fondateur, doublé en le fils du roi-sergent par les bénéfices du roi-héritier.

Quand la guerre de Sept ans, mauvaise opération conduite en vertu de bons principes, eût été liquidée, le gouvernement de Louis XV se préoccupa de réparer ce qu’elle avait comporté de désastreux et de consolider ce qu’elle avait produit de favorable. L’alliance autrichienne avait mal réussi à conduire la guerre, elle allait devenir le « système » qui permit à la France de connaître, pour la première fois depuis Charles VII et Louis XI trente belles années de paix continentale pendant lesquelles elle accumula le riche capital humain que gaspillèrent les guerres de la Révolution et de l’Empire. La période des agrandissements continentaux fut considérée comme close pour un long temps : les traités de Westphalie empêchaient tout empiétement