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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/323

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spirituel, nourri de formes grecques, romaines, catholiques, coexiste chez lui avec l’idée non moins vive de l’intérêt français.

Ce serait abuser étrangement de deux ou trois phrases — relevées plus haut dans certains monologues lyriques de M. Maurras et qui marquent l’utima Thule de ses méditations solitaires — que de le croire hanté par l’idée de la mort possible de la France. J’entends bien que pour M. Halévy cette idée de la mort, chez Démosthène ou M. Maurras, n’est que le côté pile de la face royale, celle de la vie, et qu’ils prédisent la mort, ou plutôt la laissent entrevoir, par prétérition, en posant les conditions de la vie. Mais précisément ces idées de vie et de mort, prises en elles-mêmes, restent abstraites et inopérantes. La forme de nationalisme fondée par M. Maurras consistait à tout envisager, dans l’ordre politique, du point de vue de l’intérêt français. Et la guerre a renforcé chez M. Maurras le caractère exclusif de ce point de vue. Personne n’a eu moins de chemin à faire que cette Cassandre pour se trouver, dans Troie assiégée, presque sans bouger de place, en pleine union sacrée.

Aujourd’hui encore, avec son centre de perspective sur le passé et sur le présent de la France, avec le patriotisme qui l’inspire, avec l’instinct de divination intérieure qui lui fait épouser souvent l’être même de la France politique, la pensée de M. Maurras peut être considérée comme une place où l’on vient utilement se renseigner sur l’intérêt français, ainsi qu’on va demander à M. Angot des indications sur l’état de l’atmosphère. Le zèle et la compétence de l’un et de l’autre sont indiscutables. La différence est que M. Angot insiste surtout auprès d’un public candide sur ce que sa science ne sait et ne prédit pas, et M. Maurras, comme il est naturel en politique, sur ce qu’elle sait et prédit.

Or l’idée de l’intérêt français n’est pas nécessairement une idée claire ; elle peut devenir aussi dangereuse et aussi trompeuse que celle de l’intérêt individuel. L’idée fixe de l’intérêt national constitue pour un individu cultivé une école admirable, elle satisfait chez lui en les équilibrant le besoin de développement, le besoin de domination, le besoin de discipline, le besoin de sacrifice. Un égotisme intelligent la trouvera fort bien sur sa route, s’y apaisera et s’y ordonnera. C est surtout en suivant ce fil qu’on s’expliquera l’influence de M. Maurras aussi bien que de M. Barrès sur une génération intellectuelle.

Mais de ce qu’on a trouvé de telles satisfactions personnelles dans l’idée de l’intérêt national, s’ensuit-il nécessairement qu’il soit absolu-