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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/44

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Les premières, celles aux mariages intérieurs, ont végété, n’ont pas duré, parce que les unions consanguines les ont abâtardies et parce qu’elles présentaient aux autres des proies faciles. Les secondes, qui enlevaient les femmes de leurs voisines, qui mêlaient leur sang à celui des autres tribus, ont lutté, ont prospéré plus ou moins — ont essaimé — ont vécu. L’endogamisme est à la limite du nationalisme, — et il y a un exogamisme propre à une civilisation maritime et que nous déploient par exemple les histoires de marins depuis l’Odyssée jusqu’au Mariage de Loti, qui est à la limite du cosmopolitisme. Je sais bien d’abord qu’un État fort et sain constitue une moyenne entre ces deux extrêmes et ensuite que M. Maurras ne confond pas porte ouverte et assimilation prudente et réglée, qu’il juge de toute différente façon les mariages des rois de France, la carrière des Mazarin et des Broglie, — et les mariages juifs de la noblesse française, la carrière de M. Joseph Reinach, de M. Maurice Paléologue et de Gabriel Monod. La vérité est sans doute que nos nations sont des réalités très complexes, et que le nationalisme, hors de principes simples comme la théorie de la monarchie, est lui-même quelque chose de plus complexe encore, où les affinités et les répulsions instinctives, les amitiés ou les haines originelles et acquises tiennent la place principale.

Après ces pages sur un Nationaliste Athénien, après d autres pages sur des nationalistes et sur un nationalisme français, après cette rectitude précautionneuse, tendue, cette restriction vers un atticisme décharné et jaloux, j’ai plaisir à me réciter la grande tirade de Panurge sur ses dettes. Pantagruel, homme sérieux, voudrait le voir hors de dettes et lui offre de payer ses créanciers. Panurge remercie, mais fait la grimace… Sans dettes, que deviendrait le monde ? Ce soleil refuserait de prêter sa lumière à la terre, — tout vit de prêts, tout vit de dettes, et Panurge ébauche ici de son point de vue de débiteur impénitent le grand lyrisme du Satyre. Ainsi il serait beau de ramener une nation à elle-même et à elle seule, mais elle aussi vit de dettes, — et la belle place qu’auraient, (après le soleil, la lune et les étoiles,) Athènes, Rome et Paris dans l’énumération de Panurge !

M. Maurras, fidèle à son principe de tout considérer en fonction de l’intérêt français, ne regarde que du point de vue du nationalisme français les nationalismes étrangers, — anglais, italien ou allemand. Ses opinions historiques sur l’unité italienne par exemple seront tout opposées selon qu’il verra triplicienne ou ententiste l’Italie unifiée. Amica historia, sed magis amica Gallia. L’idée d’envisager des questions