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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume I.djvu/54

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la réalisation de son facteur matériel qui est le Roi. Tel est l’acte de naissance de tout réalisme originel, idée consciente, consolidée, démarche qui s’évade de l’individuel et du relatif, ou plutôt qui sans sortir d’elle-même les arrête, de l’intelligence et de l’être. Les théologiens ne s’y trompent pas, qui aiment à retrouver chez M. Maurras la forme scolastique de leur argumentation ordinaire, leur tendance à convertir immédiatement les idées en choses. Mais cette nature de son esprit se communique mieux lorsqu’il l’exprime en élégants symboles.

II
L’ÉTANG DE MARTHE ET LES HAUTEURS D’ARISTARCHÈ

M. Maurras nous garde sans doute pour des Mémoires de la soixantaine, comme Mistral, les images héréditaires de sa maison. Mais il s’est plu à mettre dans son œuvre, comme des reposoirs de fleurs, les images de son pays et de sa province. Il les a ployées, pour y associer son génie, en des mythes ingénieux, parmi lesquels l’Étang de Marthe et les Hauteurs d’Aristarchè me fait souvenir du mythe de l’ancienne Attique que Platon ébauche dans le Critias inachevé. C’est pour moi, dans l’œuvre de M. Maurras, le bois sacré et le point central à la fois, sa colline de Sion-Vaudémont et sa tour de Constance sur les marais d’Aigues-Mortes. La construction décorative du nationalisme français s’est accordée, chez le Lorrain et le Provençal, sur des symboles analogues.

Symbole si ductile et si transparent, qu’il semble que M. Maurras ait été mis au monde pour réaliser les harmonies et les Idées qui sont en puissance dans le nom, l’histoire et le paysage de Martigues. Il parle quelque part du « naïf albigisme de Michelet et de sa théorie du combat entre la liberté et la fatalité dans l’histoire[1] ». M. Maurras — qui relève, comme M. Barrès, du Tableau de la France, — ne me

  1. Trois Idées Politiques, p. 76.