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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/108

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LE BERGSONISME

Got disait à Sarcey, des scènes de Molière, « qu’il n’y avait rien de si facile que de mettre de la musique dessous ; le moment des modulations est indiqué, et la progression constante de la phrase musicale est suivie avec un art prodigieux jusqu’à l’explosion finale de la masse de l’orchestre ». Ce que Got dit de chaque scène, on peut le dire, mieux encore, de chaque pièce.

On a parlé beaucoup des trois unités, mais il en est une dont on n’a rien dit, sans doute parce qu’elle va de soi, dans la tragédie aussi bien que dans la comédie : c’est l’unité de mouvement. Une comédie sur le distrait, faite de cette série de petits mouvements tourbillonnaires que sont les distractions, manquerait de cette unité, et c’est pourquoi elle est impraticable. Les pièces qui sont toutes en « mots » laborieusement amenés et qui manquent de mouvement général fatiguent vite le spectateur. « Est comique, dit M. Bergson, tout incident qui appelle notre attention sur le physique d’une personne alors que le moral est seul en cause. » C’est exact. Mais il ajoute que le poète tragique a soin d’éviter tout ce qui pourrait rappeler la matérialité de ses héros : ils ne boivent pas, ne mangent pas, ne-se chauffent pas, même ne s’assoient pas. Soit. Mais les personnages comiques guère plus, et la vraie raison est-elle bien celle-là ? Si les trois quarts au moins d’une pièce tragique ou comique sont joués debout, si les personnages marchent, passent, s’arrêtent momentanément sur la scène, c’est qu’ils figurent le mouvement tragique ou comique, qu’ils sont autant de mobiles animés par la vis comica ou l’aura tragica. Qu’il s’agisse de Tartuffe ou du Misanthrope, de Cinna ou de Britannicus, on s’assied au milieu de la pièce, dans une scène d’arrêt, d’explication ou de conversation. Mais il est absolument de règle qu’une tragédie ou une comédie ne commencent ni ne finissent jamais sur une scène assise : parce qu’elles doivent commencer sur du mouvement et finir sur du mouvement. Prenez les tragédies de Corneille et de Racine et les comédies en vers de Molière. Deux fois sur trois, au moins, l’un des six derniers vers commence par le mot allons ! ou bien contient un terme de mouvement analogue. Si la première scène du Tartuffe est le chef-d’œuvre de l’exposition comique, comme l’exposition de Bajazet est le chef-d’œuvre de l’exposition tragique, cela tient à ce que l’une et l’autre sont conçues sur un thème de mouvement, celle de Tartuffe sur la marche endiablée de madame Pernelle, la seconde sur l’arrivée d’Osmin. Une tragédie ou une comédie finissent sur Allons ! comme la messe sur Ite missa est. Voyant madame Sarah Ber-