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LE BERGSONISME

ment de la personne morale et suite de son évolution après la mort, — on introduit dans la question des éléments de foi conciliables, à vrai dire, avec toutes les philosophies, mais de plus en plus étrangers aux thèses propres et aux grandes directions du bergsonisme.


XIII

LA MORALE

M. Bergson n a pas plus traité du problème moral que du problème religieux ; c’est là une lacune qui paraîtrait singulière dans d’autres philosophies, mais qui l’est peut-être moins dans celle-ci. On n’imagine guère un philosophe qui n’aurait pas une conception de la vie morale, dans son droit et dans son fait, — une philosophie dont la condition personnelle ne serait pas vivante, dont la pensée ne serait pas vécue. Du point de vue de celui qui la crée, la philosophie est soutenue ou contenue par une morale, comme les organismes animaux sont soutenus par un squelette ou contenus par une enveloppe calcaire. Et une philosophie soutenue par la charpente d’une morale intérieure et invisible est sans doute plus souple qu’une philosophie contenue dans une morale extérieure et visible. Mais d’autre part, pour formuler dogmatiquement une morale, il faudrait que M. Bergson vît sa réflexion sur les problèmes moraux aboutir à des résultats positifs et « montrables », et c’est à quoi il semble presque impossible qu’un philosophe arrive. Une morale théorique, qui implique une synthèse d’après des principes, paraît plus particulièrement encore une impossibilité du bergsonisme. Aussi serait-il bien vain de prétendre en tirer rien de tel. Nous pouvons seulement discerner la charpente morale de cette philosophie particulière, le sens moral des mouvements par lesquels nous voyons sa pensée se dessiner et progresser.

Ce que les philosophes, jusqu’à Kant, ont formulé dans leurs systèmes de morale, c’est en général la morale professionnelle du philosophe, la morale propre à l’homme qui fait consister toute sa vie utile dans l’acte, la lumière, la respiration et le progrès de son intelligence,