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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/164

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LE BERGSONISME


XIV

L’HISTOIRE

L’ouvrage capital de M. Bergson, Matière et Mémoire, nœud et carrefour de toutes ses doctrines, installation générale de ses principes, implique évidemment un travail et, une contention d’esprit, une intensité et une concentration d’effort, qui ne se retrouvent pas au même degré dans l’Évolution Créatrice, de lecture si aisée. Et cette facilité de la lecture nous fait croire à une facilité analogue de la composition. M. Bergson nous dit lui-même qu’il a dépouillé pendant plusieurs années la littérature biologique, et qu’au bout de ce temps son livre s’est trouvé presque fait. Comprenons bien qu’il n’a pas entrepris ce dépouillement au hasard, qu’il était guidé par une idée sinon préconçue, du moins préalable, celle de la durée réelle et créatrice opposée à la durée conceptuelle et inopérante des théories évolutionnistes. Les faits biologiques se groupaient d’eux-mêmes, comme déposés par l’élan vital de cette idée.

Après la lecture de Matière et de Mémoire, on ne conçoit pas que M. Bergson eût pu élire un autre sujet que la relation du corps à l’esprit comme quartier général de sa doctrine. Au contraire le tableau de l’Évolution Créatrice n’est peut-être que l’une des vérifications entre lesquelles il lui était possible de choisir. D’autres formes de l’évolution eussent fourni, sous une figure toute différente et avec la matière d’une expérience toute différente, la même preuve, la même essence de vie créatrice. Un livre où le philosophe eût suivi l’évolution d’une personne, un ouvrage sur l’évolution historique de l’humanité, même une histoire de la philosophie, étaient, en principe, donnés comme l’Évolution Créatrice sur le plan bergsonien. Mais, cela admis et posé en un lointain un peu abstrait, il va de soi qu’une interprétation philosophique de la biologie, un ouvrage appuyé sur la science des êtres vivants, était tout de même mieux que les autres donné dans la nature et les habitudes intellectuelles de M. Bergson. Évidemment il n’est