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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/196

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LE BERGSONISME


XVI

LE DIALOGUE AVEC LES PHILOSOPHES

Le non que M. Bergson a prononcé à un moment donné et derrière lequel sa philosophie a marché est une réponse à des affirmations ; il fait partie de ce dialogue jamais achevé que les philosophes de l’Occident mènent depuis vingt-cinq siècles, et qui les maintient, comme un chœur accidenté et mobile, autour de Socrate. Son éducation l’a rompu à la rhétorique de ce dialogue, « Ce qui fait, écrivait Henri Franck, la supériorité d’un Bergson sur un William James, d’ailleurs si vivant, si inventif, c’est que Bergson à l’École Normale a appris à situer sa pensée dans l’ensemble de la pensée philosophique, à se préparer, par l’intelligence des grands systèmes ; à l’intelligence, à l’invention de sa propre pensée[1]. » Mais après avoir appris à s’orienter dans les systèmes, à situer sa pensée dans leur ensemble, il s’est mis à orienter ces systèmes par rapport à sa propre philosophie, à les situer dans l’ensemble de sa pensée. Par une conformité toute naturelle avec ses idées sur l’intelligence, son intelligence des systèmes procède selon une vue utilitaire, sa vision dessine sur ces systèmes les lignes de son action, les lignes de l’action qui établira sa propre philosophie. Aucun grand philosophe, d’ailleurs, ne les a envisagés d’une façon bien différente ; aucun ne peut se contenter de rédiger le procès-verbal du dialogue sans y prendre part.

Le trait le plus frappant du dialogue bergsonien consiste peut-être en ceci, qu’il interpelle les Grecs, qu’il substantifie, pour lui opposer sa philosophie, l’ensemble, le mouvement de la métaphysique grecque. Les Grecs, dans leur philosophie, comme dans leur art,

  1. L’Effort Libre, mars 1914.