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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/256

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CONCLUSION

M. Bergson, dans les pages de l’Intuition philosophique qu’il a consacrées à quelques philosophes du passé, explique qu’au fond de chaque philosophie il y a une sorte de schème dynamique extrêmement simple, dont le philosophe a vainement essayé de rendre la simplicité par la complication et l’architecture de son système : c’est-à-dire l’intuition d’une vérité unique à laquelle il a toujours pensé et qu’il n a jamais réussi à transposer pleinement dans le langage humain du multiple et du juxtaposé. Si l’on essayait d’appliquer ce point de vue à M. Bergson lui-même, quel schème général trouverait-on derrière la série de ses pensées et de ses œuvres ?

Celui précisément que nous irons chercher le moins loin, à savoir l’intuition indivisible, inexprimable, et le schème du schème dynamique lui-même. Dire non à tout ce qui est arrêté, réalisé en choses, juger impur et artificiel tout ce qui n’est pas schème dynamique pur, connaître l’univers sous la figure de ce schème dynamique qu’est l’élan vital, se connaître soi-même sous la figure de ce schème dynamique qu’est le centre vivant d’indétermination, voilà en quoi consiste l’idée ou plutôt l’élan vraiment original du bergsonisme. La durée réelle ne vient qu’après ce droit, et donnée dans un fait, le fait que le schème dynamique ne saurait se réaliser que par la durée.

Aucune philosophie ne contribue davantage à renverser le point de vue ordinaire et naturel de l’esprit. Le schème dynamique est une exigence et une essence d’action, mais son action consiste à être arrêtée en choses, et notre connaissance consiste à avoir l’œil fixé sur ces choses, comme le démiurge du Timée, afin de faire, de faire d’autres choses. Le principe d’identité, fondement de notre logique, serait ici presque en défaut : faire, ce n’est pas faire, c’est faire quelque chose. L’intuition capitale du bergsonisme, la