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Page:Thibaudet – Trente ans de vie française – Volume III – TII.djvu/263

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CONCLUSION

prétaient par des combinaisons mécaniques d’éléments l’unité dynamique d’élan inventif et les habitudes organiques d’un genre

Avant lui Juvénal avait dit en latin
Qu’on est assis à l’aise aux sermons de Cotin.

Mais là où le philosophe met l’accent sur ce refus, qui lui permet d’être, le critique met l’accent sur cette communauté d’élan vital, sur cette place irréversible qui lui permettent de situer, de comprendre, d’utiliser le philosophe. On passe d’un schème dynamique individuel à un schème dynamique spécifique. Et nulle part ce renversement de point de vue n’est plus saisissant que lorsque l’on considère la position de M. Bergson en face de Platon.

Pour M. Bergson le platonisme, philosophie des Idées, philosophie anti-temporelle, c’est l’ennemi. Nous naissons platoniciens parce que nous naissons homines fabri, et philosopher c’est transcender l’homo faber. M. Bergson a fait dans le platonisme, aussi sûrement que le sphex pique la chenille, la coupe utile qui donnait à sa philosophie un adversaire sur mesure. Mais le critique, désintéressé dans l’affaire, et qui a profité des leçons de M. Bergson comme Agnelet de celles de Patelin, ne tient pas à cette coupe utile, — il transcende le philosophus faber, artisan de son système. Il néglige le Platon d’école, l’homme des Idées-nombres. Il va, en sens inverse, plus loin que le Platon individuel, à cet hermès Platon-Socrate élevé à la source même de la philosophie, et il voit la courbe du fleuve se dessiner jusqu’au bergsonisme même. D’un certain point de perspective, le schème dynamique bergsonien coïncide avec l’Idée platonicienne, ou, plutôt, Idée des Grecs, loi des modernes, schème dynamique, prennent place le long d’une ligne vivante. Cette ligne vivante, c’est celle du dialogue socratique, indivis entre Socrate et Platon, et, plus loin, indivis entre tous les philosophes. Qu’est-ce que le dialogue ? Une réalité rayonnante d’où émane de la vie, la vie philosophique elle-même ; une recherche jamais terminée, — l’élan vital de la pensée. Cette pensée peut bien s’arrêter en systèmes, comme en thèses. Mais dès que cet arrêt s’est produit, le Socrate éternel vient poser la question ironique qui conduira à un aveu d’ignorance et à une quête nouvelle. Nous naissons tous platoniciens, soit. Mais quand il a vu le schème dynamique et l’Idée se rapprocher, et le dialogue socratique, élan vital de la philosophie, conduire si élégamment à une philosophie de l’élan vital, le critique conclut : Nous restons tous platoniciens.