Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/119

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c’est en cela qu’il nous semble atteindre le sommet de la bêtise, et cependant, ici encore, ce n’est pas un neutre, un répertoire de clichés comme Léon ou Charles. Ou plutôt le cliché, l’idée reçue, qui sortent de ceux-ci comme une exsudation molle, se découpent chez Homais en profils massifs et puissants. On ne saurait nier qu’il possède un style parlé et un style écrit. Le style parlé est ample, étoffé, charnu et gras, il a l’os rotundum d’un homme qui s’écoute. Le style écrit est un peu différent. Les articles du Fanal ne manquent pas de saveur. M. Homais a, comme Bossuet, un esprit de généralisation et d’idéalisation oratoires, et la chronique d’Yonville est convertie immédiatement en quelque chose d’éternel et de stylisé comme les incidents de la vie d’Henriette d’Angleterre dans l’oraison funèbre. Ce génie oratoire met sur la figure d’Yonville une sorte de santé et un reflet de bonne conscience, comme les périodes rondes de M. de Meaux sur la solide carrure et les certitudes intérieures du XVIIe siècle. Nous ne sommes pas étonnés de voir en Homais un admirateur d’Athalie, dont une de ses filles porte le nom.

La puissance d’Homais consiste surtout à représenter la bourgeoisie dans sa pleine force d’ascension, lorsque, non contente de conquérir la fortune et le pouvoir, elle cherche à se frotter d’art. Son dernier trait est « de donner dans un genre folâtre et parisien », de parler argot. À l’époque de Madame Bovary, il y a une tendance du bourgeois vers le genre artiste. En 1853, au moment même où Flaubert écrit Homais, le père Buloz publie dans sa revue les Buveurs d’eau, scènes de la vie d’artiste, par Mürger. Le toupet à la Louis-Philippe que porte Homais, il s’oriente déjà vers celui de Rochefort. On le verra, dans le Fanal, quand il se croira méconnu par le pouvoir, saper, devenir dangereux.

On a l’habitude de considérer Homais et Bournisien comme deux pendants, comme un bilingue de la bêtise humaine, l’un en langage religieux, l’autre en langage de la libre pensée. Ce n’est pas exact. Bournisien est pris, comme la plupart des autres personnages du roman, dans le rythme d’une réalité qui se défait. Ici, cette réalité c’est l’Église. La religion est devenue pour lui un rabâchage. Il dégorge ses idées reçues comme une machine, alors qu’Homais est campé comme quelqu’un qui reçoit ses idées et même les crée. La scène entre