Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/16

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C’est l’oncle d’Ernest, M. Mignot, qui a fait autographier pour la postérité le double éloge de Corneille et de la constipation. Mignot habitait en face de l’Hôtel-Dieu, rue Lecat, avait la passion de la lecture, et Gustave était chez lui le plus souvent possible. Mignot lui lisait à haute voix Don Quichotte, qui fut une des grandes passions d’enfance de l’auteur de Madame Bovary. Flaubert passait de belles vacances chez les Chevalier aux Andelys. Cette famille fut son milieu de liberté et de joie, plus précisément, et dans tout le sens religieux qu’il put donner au mot, de littérature. Il faut attacher de l’importance à ces lectures du père Mignot. La littérature entre chez Gustave par l’oreille, la phrase littéraire se distingue de celle qui ne l’est pas par un ton de voix particulier, un apprêt, un cérémonial pour un public, peu importe que ce public soit composé d’un enfant ou de dix mille auditeurs. Flaubert refusera toujours d’admettre dans la littérature la phrase de la conversation : le contraire exactement de Stendhal. Il y a les écrivains du parloir et les écrivains du gueuloir. Flaubert a donné à ceux-ci leur drapeau et leur mot d’ordre.

Avec la famille Chevalier-Mignot, la grande famille littéraire de Gustave fut celle des Le Poittevin.

Ces Le Poittevin sont de grands bourgeois du textile rouennais. Le filateur Le Poittevin avait épousé une amie de pension de Mme Flaubert, et les liens entre les deux familles sont tels que le docteur Flaubert sert de parrain au premier fils de Le Poittevin, Alfred, et Le Poittevin au dernier fils du docteur, Gustave.

Né en 1816, Alfred nous parait le véritable frère aîné de Gustave. Comme les Chevalier, les Le Poittevin, dans leur maison de la Grand-Rue, sont les voisins immédiats de l’hôpital. La sœur de Le Poittevin, Laure, qui sera la mère de Guy de Maupassant, est née la même année que Gustave. Il y a plus de culture, de tradition, et aussi de forme, chez les Le Poittevin que chez les Flaubert (le fils du vétérinaire de Nogent fait un peu, à Rouen, figure d’homme nouveau). Et surtout Le Poittevin est poète, il écrit, il imprime. Il a fait l’éducation littéraire de sa sœur Laure. Il contribue à celle de Gustave, le conscrit de Laure. En 1834, l’année où Flaubert, élève de sixième au collège, y fonde le journal manuscrit Art et Progrès, est celle où Le Poittevin en sort, ayant achevé sa rhétorique, et celle où y