Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/229

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L’image factice devient quelquefois spirituelle, mais en un lieu où l’esprit n’est pas à sa place. « Les fautes d’orthographe (il s’agit de la lettre du père Rouault) s’y enlaçaient les unes aux autres, et Emma poursuivait la pensée douce qui caquetait tout au travers, comme une poule à demi cachée dans une haie d’épines. »

Flaubert renverse parfois l’ordre coutumier de la comparaison, et d’une manière peu heureuse. « Les herbes se hérissent comme la chevelure d’un lâche. » Dans le devoir de jeunesse qu’est Par les champs, on trouve ce phénomène : « L’escalier tournant, à marches de bois vermoulues, gémissait et craquait sous nos pas, comme l’âme d’une femme sensible sous une désillusion nouvelle. »

Il y a donc un curieux contraste entre la spontanéité des images dans la Correspondance et le caractère artificiel des comparaisons dans les œuvres travaillées de Flaubert. Il est incapable de transporter dans les secondes le jaillissement des premières. L’image appartient à ce fond de nature qu’il est obligé de refréner et de combattre, elle est l’écume du flot oratoire, et à mesure qu’il se construit contre ce flot, il l’élimine. Ce qu’il en garde lui paraît compassé et il finit par y renoncer complètement.


Qui dit style dit composition, composition de la phrase, composition du chapitre, composition du livre. Flaubert, dans sa Correspondance, attache le plus grand prix à cette question de la composition, indique à Bouilhet et à Louise Colet le plan de l’œuvre comme l’essentiel de l’œuvre : « Si le plan est bon, je te réponds du reste. » Chacune de ses œuvres comporte plusieurs plans repris, développés, modifiés. Rien n’est laissé au hasard dans l’ordonnance d’un roman, pas plus que dans celle d’une phrase. Et cependant, au premier abord, seuls les Trois Contes nous présentent dans l’œuvre de Flaubert un ensemble harmonieux, classiquement composé. On a fait à ce point de vue les plus sérieux reproches à Madame Bovary, et surtout à Salammbô et à l’Éducation. Flaubert lui-même reconnaît que la construction de Salammbô pèche gravement, que les situations se répètent et que l’intérêt n’est pas gradué.