Page:Thibaudet - Gustave Flaubert.djvu/270

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est devenu depuis Deschamps un lieu commun, et si on fait entrer en compte la Correspondance et les Œuvres de jeunesse, ce n’est pas par douzaines, c’est par centaines qu’on ne peut les nier. Qu’on dise que ni Bossuet, ni Roussseau, ni Lamartine n’en sont exempts, qu’on invoque le mot de Ney ! « Quel est le j…-f… qui n’a jamais eu peur ? » et qu’on cite à sa barre l’autre j…-f… qui ne fait jamais de fautes, nous répondrons que c’est une question de limite, et que Flaubert est de beaucoup celui de nos grands écrivains chez qui on peut relever le plus grand nombre de ces fautes matérielles.

Mais ce grand nombre de fautes ne paraît grave qu’au chercheur de tares qui en fait un extrait et qui en dresse le catalogue. Il y a des gens qui, lisant un livre de médecine, en réalisent toutes les maladies comme actuelles et ordinaires, et qui, devenant des maniaques de médecine ou d’hygiène, empoisonnent leur vie plus que ne le ferait une de ces maladies. Ces deux ou trois cents fautes dont on brandit le catalogue comme un acte d’accusation, elles ne choquent que sur ce catalogue. À la lecture, elles passent presque inaperçues, emportées par le mouvement d’un style dont la masse, dans les grandes œuvres, est irréprochable, et que, dans la Correspondance, soutiennent son naturel, sa verve, son élan. Ceux qui se fondent sur ces fautes pour dire que Flaubert écrit mal font bien du bruit pour peu de chose.

Et ces fautes qui nous gênent si peu dans notre lecture et notre plaisir ont d’autre part leur utilité par les jours qu’elles nous ouvrent sur l’intérieur et les dessous de l’art de Flaubert.

M. Frédéric Masson, dans une lettre qui fit parler, a dit de Flaubert : « Je l’ai connu…, c’était un médecin de Rouen. » C’est vrai, d’une vérité très partielle, malveillante. Mais, enfin, c’est vrai. Flaubert était un provincial, qui le resta toute sa vie. Ce bourgeois rouennais qu’il vitupérait truculemment, c’était d’abord le matin qu’il en riait, devant la glace, quand il faisait sa toilette. Il ne sut jamais causer, tantôt commis voyageur comme Arnoux, tantôt gauche comme Frédéric Moreau, et, dans les salons où il fréquentait sur la fin de sa vie, poussant de gros paradoxes entêtés. Dans sa famille comme dans toute la bourgeoisie rouennaise, on parlait sans doute mal, ou plutôt on avait des façons provinciales de s’exprimer. Flaubert s’est construit contre son milieu, mais aussi il a été construit par son