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Page:Thomen - Les Aventures acrobatiques de Charlot — Charlot aviateur.djvu/9

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CHARLOT AVIATEUR

Tout en se rendant à ses affaires, Charlot murmurait en se frottant joyeusement les mains : « Cette fois, c’est la fortune à bref délai ! L’article que je représente est d’une vente facile parce qu’il est bon marché, solide, bien construit et de première nécessité. Quelle ménagère, en effet, n’a rêvé de posséder un épluche-légumes idéal ? » Sa marche rapide l’amena devant une maison où on lui avait signalé un client éventuel. En pénétrant dans l’immeuble, il ne fut pas peu étonné de voir le vestibule encombré de représentants. À la façon dont ils étaient installés par terre, on voyait qu’ils avaient dû dégringoler l’escalier quatre à quatre, poussés par une force indépendante de leur volonté. « C’est à votre tour ! dit un de ces messieurs à Charlot. Mais je ne vous conseille pas d’affronter ce monsieur vociférant. C’est un ours qui a horreur des démonstrateurs. Il les jette dehors. — Bah ! répondit Charlot, laissez-moi tenter ma chance ! »

Il monta l’étage, frappa à la porte du terrible bonhomme et répondit au farouche « qui est là ? » du locataire par cette phrase prometteuse : « C’est le facteur qui vous apporte… » À cette annonce la porte s’ouvrit et Charlot se trouva en présence de l’ennemi des représentants. Sans se laisser intimider, il s’empressa de compléter sa phrase en ajoutant : « … qui vous apporte cette petite merveille. C’est l’Épluche-Tout. Comme son nom l’indique, il épluche navets, carottes, pommes de terre et, grâce à un dispositif breveté S. G. D. G., il les coupe en rondelles, losanges, étoiles, fleurs, animaux et lettres de l’alphabet, » M. Vociférant le laissa débiter sa tirade. En réalité, il attendait que la moutarde lui montât au nez pour rugir, menaçant : « Cela fait le 200e épluche-légumes que l’on me propose depuis huit jours. Si vous ne déguerpissez pas sur l’heure, je vous épluche comme un salsifis et vous découpe en rondelles comme du saucisson ! » Charlot se baissa à temps pour esquiver le coup de poing destiné à ponctuer cette déclaration.

Il dit simplement : « Je repasserai ! » Quelques jours plus tard, une dame se présentait à la porte de M. Vociférant qui, sans méfiance, la pria aimablement d’entrer. Quand ce fut fait, il demanda non moins aimablement : « À qui ai-je l’honneur de parler, madame ? — Au représentant de l’Épluche-Tout », répondit Charlot en se montrant sous son aspect habituel. Il n’était pas plus fier pour cela et s’apprêtait à recevoir le choc de la mauvaise humeur de son hôte. Ce fut inutile. « Je vous attendais, lui dit doucereusement M. Vociférant, — Vous… vous m’attendiez ? balbutia Charlot. — Mais oui ! Sachant que vous ne me refuseriez pas une petite démonstration gratuite de votre merveilleux appareil à éplucher les patates et les découper en rondelles, je me suis engagé à fournir, prêtes à être jetées dans la poêle, à frire, toutes les pommes soufflées des restaurants de Paris. Allons, à l’ouvrage ! Quand vous aurez fini de décortiquer ces 3 000 kilos de pommes de terre, vous serez libre. Pas avant ! » Contre la force, pas de résistance. Charlot dut s’exécuter.