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Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/151

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LÉGENDE DE DUCCIO ET D’ORSETTE

souvint de la forêt de la Verne et des heures innocentes de sa jeunesse, lorsqu’il portait la robe noire du novice et la hache du bûcheron. Une tristesse affreuse le saisit, pareille à celle des âmes errantes aux plus profondes sphères du Purgatoire, sur les confins mêmes de l’Enfer. Ce n’était pas le désespoir du damné, parce que cette douleur ressemblait au repentir et que le repentir contient l’espérance. Délaissé, trahi, épuisé par la faim, perdant son sang, Duccio se retournait vers sa jeunesse, et comparant ce qu’il était à ce qu’il aurait pu être, il avouait devant Dieu qu’il avait mérité son châtiment. Le regret des biens spirituels qu’il avait abandonnés ne prenait pas encore, sur ses lèvres, la forme de la prière. Il n’osait s’adresser à Dieu directement, comme un fils ingrat au père offensé dont il attend le pardon ; mais la prière était dans le battement de son cœur, dans la fièvre de ses veines, dans la crispation de ses mains, dans le sanglot inarticulé de sa bouche. Autour de lui, la forêt devenait plus noire, et le vent qui se leva parut apporter toute une cohorte de démons. Une clameur jaillit des arbres, des torrents, des grottes. Des mains griffues accrochèrent les vêtements de Duccio ; des