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Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/199

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LA SIRÈNE DE KERDREN

débarrasser son navire, le plus tôt possible, d’un simulacre païen, hideux et ridicule, et de remplacer la Sirène sauvage par une belle nymphe de la façon de monsieur Coustou. C’est alors qu’advint l’aventure qui fut rapportée à mon aïeul Ronan par un matelot de l’Enchanteresse, le gabier Yvon Trédellec.

» L’Enchanteresse se trouvait au nord de la Barbade, et monsieur de Guéchy était dans sa chambre, en train de fumer une grosse pipe de Hollande, quand il se fit partout le vaisseau, un mouvement extraordinaire, accompagné de grands cris. Le capitaine monta sur le pont. Les hommes, penchés sur le bordage, se montraient les uns aux autres une forme sombre, dans l’eau bleue comme un saphir de Ceylan.

» Le soleil de midi versait une coulée de plomb, éblouissante et mortelle. On apercevait des essaims de poissons volants et les nageoires en faucille d’un requin. Soudain, à l’avant du navire, presque sous l’étrave qui fendait l’onde, comme un ciseau coupe un grand lé de satin bleu, le corps du « naufragé » se dressa, visible et nu jusqu’à la ceinture. Il était couleur de bronze vert,