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Page:Tinayre - Figures dans la nuit.pdf/48

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FIGURES DANS LA NUIT

vapeur, et, sur le Caystre gonflé, les oiseaux d’eau s’annoncent la grande nouvelle : « Le printemps arrive, ô cygnes ! ô cygnes ! » La fontaine du jardin murmure à mi-voix : « Grenouille verte, taupe brune, limaçon rayé, et toi, vieille tortue enfouie sous le carré des oignons, écoutez, écoutez ! Il pleut ! Le ciel épouse la terre. Tout va fleurir et rajeunir !… » Oui, tout, fontaine menteuse, tout, excepté la maîtresse du logis. J’ai soixante-dix ans passés. Je suis un bois sec, bon pour le feu… Quel printemps me rendra mes roses ?

Allons, petite fille, pose ton fuseau. Va jouer aux osselets, sous la galerie couverte. Un enfant qui bâille et qui pleure, cela me fait peine à voir… Je resterai seule, dis-tu ? Le beau malheur ! J’ai mes souvenirs pour compagnie… Et voilà que j’aperçois une visiteuse enveloppée de grosse bure grise, comme une bergère !… Oh ! c’est toi, vieille Eustokhie, ma voisine. Par ce temps, quitter la maison ! Il faut que la Nécessité te conduise… Enfant, prends ce manteau mouillé. Apporte une coupe de vin chaud mêlé de miel et d’épices… Tu refuses, chère Eustokhie ? Assieds-toi donc sur un siège