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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/168

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zanne Mathalis frappa quelques accords. Immobile, blanche sur la sombre tenture, Jacqueline commença le récitatif d’Alceste : « Où suis-je ? » et une fois de plus, à travers la formule démodée et la pauvreté des paroles, évoqué par le génie de Gluck après le génie de Beethoven, l’amour domina les âmes. Il pleurait, il s’exaltait dans la voix de la chanteuse. Il suppliait le sort inexorable. Il se révoltait et se résignait. « Non ! ce n’est pas un sacrifice !… » Hélas ! l’accent de Jacqueline était l’accent du désespoir quand, regardant Étienne, elle chanta :

   Il faut donc renoncer, cher objet de ma flamme,
   Renoncer pour jamais à régner dans ton âme,
   Au plaisir de t’aimer, au bonheur de te voir…

C’était plus que Chartrain n’en pouvait supporter. Il se réfugia dans l’embrasure de la baie, derrière les indiennes flottantes. Son cœur déborda. Il entendit qu’on félicitait Jacqueline, puis un bruit de chaises… des pas qui s’éloignent… On va souper… Ah ! fuir, fuir avec Jacqueline, l’emporter dans la nuit, sans un mot, sans une prière, là-bas, dans l’ombre nuptiale de la petite chambre où jamais les amants ne sont entrés ! Chimère, inutile folie !… Étienne sait qu’il est trop tard.