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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/182

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Les pressentiments d’Étienne s’évanouissaient à l’angoissante et douce approche de la nuit. Dans le mystère du crépuscule, Jacqueline, assise au piano, n’était plus qu’un blanc fantôme, et les Lieder mélancoliques du Dichterliebe, des voix incertaines, qui ressuscitaient le passé.

Chartrain songeait à l’après-midi déjà lointain où il avait lu à madame Vallier son article sur Schumann. Qui eût dit, alors ?… Ému par ce souvenir, il s’approcha de la jeune femme. Elle tourna la tête vers lui et il vit ses yeux humides de pleurs.

— Line, mon amour, vous pleurez ?

Elle ne répondit pas, mais soudain penchée, les coudes appuyés au clavier, la tête entre ses mains, elle éclata en sanglots. Et à peine Chartrain put-il distinguer ces paroles balbutiées et répétées :

— Vous me méprisez, vous me méprisez !

— Oh ! ma chérie, qu’avez-vous pensé ? Que dites-vous ? Moi je vous méprise, moi, qui vous adore ?

Elle répondit :

— Je l’ai deviné aujourd’hui. Et tout à l’heure, en jouant ces Lieder, j’ai pensé aux premiers temps de notre amour, à cette époque où nous nous