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Page:Tinayre - La Rancon.djvu/190

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maître ? Il l’avait possédée vierge et rendue mère ; il avait vécu et dormi près d’elle pendant huit ans, et il la connaissait si peu qu’il ne devinait aucun changement en elle. Son amour léger ignorait les intuitions profondes, les divinations de la passion. Elle l’aimait cependant. Rien ni personne ne pouvait séparer leurs destinées. La communauté du nom, du lit, des intérêts et des habitudes, les souvenirs, l’enfant les liaient d’une chaîne solide et que ne romprait pas l’assaut furieux de l’amour. Mais, entre cette femme et ce mari — les deux moitiés d’une unité — se creusait l’abîme d’un éternel mystère. Ils étaient plus étrangers que des amis. Ils vivraient ensemble pourtant, et peut-être vivraient-ils heureux, lui par ignorance, elle par habitude, époux mais non mariés au sens exact du mot, séparés, non par ces griefs qui détruisent l’estime ou suscitent la haine, le dégoût, la colère, non pas même par une série de malentendus déterminés, mais par la seule évidence, apparue enfin, des différences essentielles de leurs natures. Vallier ne la voyait pas, cette évidence qui avait lentement tué l’amour dans l’âme de Jacqueline. Mais elle l’avait pressentie cinq mois auparavant, le soir où Paul avait répondu à sa mélancolie par une gaieté maladroite :